lundi 12 mars 2018

Les "années de misère" (2)

Le second épisode décrit par Marcel Lachiver(1) dans son ouvrage est sans doute plus connu que les précédentes années de misère, évoquées ici même la semaine dernière.

Le grand hiver 1709

L'auteur nous en indique la chronologie : premières vagues de froid dès le mois d'octobre 1708, avec des périodes de redoux, jusqu'à une brutale chute des températures le jour de l'Épiphanie, le 6 janvier 1709. À Paris, où les relevés sont les plus fiables, les températures négatives persistent pendant dix-neuf jours, avec des extrêmes de l'ordre de -20° !

Le grand hiver de l'année MDCCIX, estampe de la collection Michel Hennin, BNF
Source Gallica

L'alternance de gels et de dégels jusqu'en mars a des effets catastrophiques sur les cultures de céréales, mais également sur la vigne, les oliviers, les châtaigniers, les noyers… Donc sur une grande partie des ressources alimentaires. Pas de transport possible sur les rivières ou sur les fleuves gelés. Les moulins sont paralysés. Pas de pêche non plus dans les étangs. Les animaux, bœufs, chevaux, volaille, pigeons, gibier, meurent de froid, tous comme les hommes dans leurs maisons, où le pain et le vin sont pris en glace.

Les mesures face à la crise

Elles sont de plusieurs ordres. En premier lieu, le pouvoir tente de juguler la hausse du prix des grains et d'assurer le ravitaillement de la population : il ordonne l'inventaire des stocks disponibles, renforce la réglementation des marchés, organise des distributions de secours en nature ou en monnaie.

Savez-vous qu'un système de cartes d'alimentation pour les pauvres fut mis en place à Versailles ? que des soupes populaires furent organisées dans les paroisses ? L'Église ne fut pas en reste : elle organisa des processions pour implorer la clémence divine. Et, le poisson venant à manquer, elle accepta un assouplissement des restrictions alimentaires liées au Carême.

L'impact sur la population

Comme à chaque crise de subsistance, la rareté des marchandises et l'envol des prix provoquèrent des émeutes. Manifestations contre les boulangers, dont les étals sont pillés, contre les marchands de grains, accusés de tricher sur les quantités, contre les transporteurs, soupçonnés de vider les marchés…

Marcel Lachiver estime que le grand hiver eut trois effets successifs : de janvier à mars 1709, environ 100 000 victimes du froid, de septembre à novembre 1709, environ 180 000 victimes de la faim, enfin de mars à juillet 1710 environ 270 000 victimes des épidémies sur une population affaiblie.

Néanmoins, en dépit de ces chiffres impressionnants, la crise de 1709 fut sans doute moins grave que celle de 1692-1693.

Cette description des malheurs de la population française à la fin du règne de Louis XIV en constitue en quelque sorte l'envers du décor : l'auteur considère son ouvrage comme, je cite, "un témoignage de ce qu'a été la vie quotidienne de nos ancêtres, dans ses moments les moins fastueux, quand ils connaissaient les épreuves les plus dures liées à l'adversité climatique".

Je relève également dans sa conclusion cet appel aux généalogistes et aux érudits locaux : noter les mentions relatives au temps, aux récoltes et aux maladies qui figurent dans les registres paroissiaux, s'intéresser aux mouvements de la population d'une paroisse ou d'un groupe de paroisses constituant un "pays", telles sont les deux pistes de recherche qu'il propose à notre sagacité.

J'y vois une ouverture vers la micro-histoire qui contribue, dans sa modeste mesure, aux travaux des historiens.




(1) Marcel Lachiver, Les années de misère, la famine au temps du Grand Roi, Fayard, 1991

5 commentaires:

  1. deux articles passionnants, tu m'as clairement donné envie de lire ce livre

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  2. Petite précision, le livre est toujours disponible chez Amazon, je l'ai reçu hier soir :)

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    1. Mon libraire vincennois a été tout aussi efficace. Bonne lecture !

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  3. Dans les villages de l'Aisne où je recherche mes ancêtres, il y a beaucoup de lacunes pour la période 1692-1694 (j'étends à 1694 car une grande sécheresse a sévi) : on ne peut donc pas vraiment conclure. Par contre les années 1709 et surtout 1710 montrent des décès en excédent par rapport aux naissances. Et cela s'est poursuivi pour les périodes 1728-1731 puis 1739-1742, mais ce n'est plus le même roi.

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