lundi 20 mars 2017

Une dispense pontificale

Je parcourais les registres du Puy-Notre-Dame, dans l'actuel département du Maine-et-Loire, à la recherche d'actes concernant mes ancêtres Maitreau, lorsque je tombai sur quatre pages superbement calligraphiées.

En voici la première.

AD Maine-et-Loire Le Puy Notre Dame
BMS 1763-1772 (vue 155/271)

En dépit de sa longueur, la lecture de ce texte ne manque pas d'intérêt :

"Louis Hiacinte
Rousseau de la Ferandiere
prêtre chanoine de l'Eglise de Poitiers
vicaire general juge vicegerent en
l'officialité au dit Poitiers commissaire
apostolique en cette partie comme delegué de
notre Sainct Pere le Pape Clement treize
pour la fulmination du Bref obtenu de
sa Saincteté par Jean Besnard et francoise
Lamoureux l'un et l'autre de ce Diocese
portant dispense de la parenté qui se trouve
entr'eux du premier au second degré
d'affinité aux fins de se marier ensemble
sur les motifs y exposés.
A tous ceux qui ces presentes lettres
verront Salut.
Vu par nous le dit Bref en datte du
quatre janvier dernier duement certifié

Véritable par les Sieurs Rogeau et
Marchand conseillers du Roy expedition
de Cour de Rome a Paris y controllé le
vingt neuf du même mois la Requête
A nous présentée par les impetrans a
fin de la fulmination du dit Bref
notre ordonnance sur icelle portant
acceptation avec respect de notre
delegation qu'en execution d'icelle
Messire Jean Vincent Robelain Curé
et Doyen du Puy Notre Dame comme
a cet effet prendroit les interrogatoires
necessaires et procederoit a l'information
requise, les interrogatoires des dits impetrans
et l'audition par lui prise des temoins
qui lui ont été administrés le huit de
ce mois ensemble les conclusions du
Promoteur de ce Diocese ce qui le tout a
été communiqué du jour d'hier

Tout consideré et
examiné nous apres l'invocation du
Sainct Esprit exerçant la delegation
dont il a plus a Sa Saincteté de nous
honnorer avons dit et disons le dit
Bref de dispense bien et duement
obtenu et sur fait veritable, ce
faisant en contemplation de la grace
faite aux dits Jean Besnard et
francoise Lamoureux par notre Sainct
Père le Pape Clement treize leur avons
permis et permettons de se marier
ensemble nonobstant l'empechement
qui se trouve entr'eux du premier au
second degré d'affinité dont il a plu
a Sa Saincteté de les dispenser et pour
être procédé a leur mariage les avons
renvoyés par devant leur propre Curé
pour y être observé les formalités
requises par les loix de l'Eglise et de l'Etat

Avons dit et disons les enfans qui
naitront de leur mariage nés et procedant
de bon vrai et legitime mariage et
pour penitence salutaire avons imposé
a chacun des impetrans de dire chaque
jour a genoux pendant un mois cinq
fois l'oraison Dominicale et cinq fois la
Salutation angelique.
Donné et fait au Pretoire de
l'officialité a Poitiers par nous Juge
vicegerent délégué susdit le treize
avril mil sept cent soixante huit
signé Rousseau De la Ferandiere
averti du Controlle et de l'Insinuation Ecclesiastique
 
Thibault
Insinué et Controllé a Poitiers le 13 avril 1768
Six Livres
Babinet"

Il s'agit donc d'une dispense accordée par le pape Clément XIII à Jean Besnard et Françoise Lamoureux, qui projetaient de se marier en dépit d'un empêchement canonique : il aurait existé entre eux un lien d'affinité du premier au second degré…

Mais commençons peut-être par une explication de texte, car tous les termes ne nous sont pas familiers.

Précisons tout d'abord que le pape Clément XIII s'est notamment fait connaître pour avoir mis à l'index l'Encyclopédie de d'Alembert et de Diderot et pour avoir imposé des feuilles de figuier (plus grandes que les traditionnelles feuilles de vigne) sur la nudité des statues vaticanes ! Il émet un bref, c'est-à-dire un acte administratif sans préambule ni préface, qui indique simplement ce qu'il accorde aux personnes concernées.

Le document est relayé par le tribunal ecclésiastique du lieu (l'officialité) et la personne qui seconde l'official (le vice-régent) se charge de le publier (la fulmination), afin de le rendre exécutoire.

Les futurs époux (les impétrants, ceux qui obtiennent de l'autorité compétente ce qu'ils ont sollicité) sont donc autorisés à se marier et les enfants éventuellement issus du mariage seront légitimes, ce qui n'est pas sans conséquence sur une future transmission du patrimoine.

Mais comme ils transgressent d'une certaine manière les règles de l'église, ils doivent faire pénitence : l'oraison dominicale n'est autre que le "pater noster", prière dite au cours de la messe du dimanche, et la salutation angélique ou "angelus" est ainsi appelée parce qu'elle commence par le salut de l'ange Gabriel à la vierge Marie dans le récit évangélique de l'Annonciation. Il s'agit des "Notre Père" et "Je vous salue Marie", bien connus de tous ceux qui sont un jour passés par un confessionnal.

Reste à comprendre ce qui a pu déclencher toute cette procédure, fort onéreuse, car outre les six livres mentionnées avant la signature du sieur Babinet, il est sobrement indiqué au pied du document "59# 7s", que j'ai tendance à traduire par cinquante-neuf livres et sept sols !

J'ai donc recherché les divers actes qui résument l'affaire et j'en ai tiré la chronologie suivante.

Près de quarante ans auparavant, le 9 janvier 1729, une certaine Françoise Lamoureux, fille de Pierre Lamoureux, avait épousé en premières noces un certain Louis Charles Hamon au Puy-Notre-Dame. Deux enfants au moins étaient issus de ce mariage, Noël Joseph et Françoise. Puis, une quinzaine d'années plus tard, cette Françoise Lamoureux, devenue veuve, épousa en secondes noces à Saint-Macaire-du-Bois notre Jean Besnard, le 17 novembre 1745. La bénédiction nuptiale fut administrée par René Besnard, prêtre curé de Noëllet et frère de l'époux. Quantité de signatures, dont une pléiade de Lamoureux, tracées d'une main ferme, vinrent parapher les deux actes.

Vingt-et-un ans plus tard, le 26 novembre 1766, Françoise Lamoureux, âgée d'environ soixante-dix ans, fut portée en terre en présence de son second mari, Jean Besnard, des deux enfants issus de son premier mariage, ainsi que d'autres personnes dotées d'une élégante signature.

Et notre Jean Besnard songea à se remarier. La nouvelle élue, qui s'appelait également Françoise Lamoureux (je sais, c'est un peu perturbant), était nettement plus jeune : fille de Jacques Lamoureux et de Marie Anne Robert, née en janvier 1733, elle n'avait que trente-cinq ans au moment où fut sollicitée la dispense pontificale.

Alors, de quoi s'agissait-il ? En quoi consistait cette affinité du premier au second degré ? Eh bien, si je n'ai pas commis d'erreur d'interprétation, juste un fait qui nous paraîtrait bien anodin aujourd'hui : la première Françoise Lamoureux, précédente épouse de Jean Besnard, n'était autre que la marraine de la seconde Françoise Lamoureux ! Les signatures au bas des actes ne laissent aucun doute. Or il y a affinité spirituelle entre celui ou celle qui tient un enfant sur les fonts baptismaux et l'enfant en question. Un lien aussi fort qu'entre les parents et leurs enfants, la consanguinité en moins.

Je ne vous cacherai pas que j'ai parcouru les registres du Puy-Notre-Dame et de Saint-Macaire-du-Bois pour y chercher le baptême d'un enfant de Jean Besnard et de Françoise Lamoureux dans les mois qui ont suivi le mariage : y avait-il nécessité à contracter ce mariage dans les plus brefs délais ? Mais je n'ai rien trouvé…


J'en sais néanmoins davantage aujourd'hui sur les dispenses pontificales et la façon dont elles sont rédigées par les autorités ecclésiastiques.

7 commentaires:

  1. Si je comprends bien il épousait en seconde noce la filleule de sa première épouse ? 57 livres pour la donzelle qui n'est plus de première jeunesse, je suis surprise aussi qu'il n'y ait pas un nourisson quelque part. Bravo pour cet article

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    1. Oui, moi aussi, je pensais à une naissance imminente. D'un autre côté, une dispense pontificale met plusieurs mois à parvenir aux intéressés… j'ai feuilleté les pages après le mariage, mais il faudrait peut-être que je regarde plus attentivement les registres dans les mois qui précèdent !

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  2. Belle pioche et superbes commentaires et explications.
    Nous ne manquerons pas très bientôt de visiter la belle collégiale du Puy-Notre-Dame, aux trois clochers, où comme aimait à nous dire, pour guetter notre étonnement, mon grand-père paternel.... trois clochers et 200 cloches.... en réalité tout simplement :"deux sans cloche".

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  3. Bonsoir, sans vouloir minimiser cette belle trouvaille, il est fort peu probable que le dossier soit remonté jusqu'au Pape pour de simples roturiers (ou honorables gens). Le vicaire, traitait de ces cas, moyennant finances comme vous le soulignez, et tranchait lui même comme "délégué" du Pape. Les bulles du pape étaient rarissimes pour ces cas, somme toute assez banals. Certains vicaires en mal de fonds, annulaient même des mariages dont la consanguinité était ténue ... :-), pour ensuite les autoriser après versement de l'écot ....

    Sauf à voir bien entendu la copie de la bulle pontificale certainement conservée aux Archives si elle existe ....

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  4. Une pépite, merci de nous la faire partager

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  5. Bonjour,
    Prières en pénitence, c'est généreux lol
    merci pour ce partage

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