lundi 13 mars 2017

Penser en dehors de la boîte

"Fille unique d'un père fils unique qui, lui-même, avait un père fils unique", combien de fois ai-je entendu cela ? et comment mettre en doute la parole paternelle ? Pourtant… la recherche généalogique est une patiente et lente démolition des légendes familiales.

À mes débuts, j'ai écrit aux mairies concernées pour leur demander l'acte de naissance, l'acte de mariage et l'acte de décès de mon grand-père paternel, en attendant la mise en ligne de l'état civil parisien. Puis, persuadée d'avoir fait le tour de la question, je suis allègrement passée à la génération précédente.

Je ne sais plus très bien comment j'ai découvert que mon arrière-grand-père normand, celui qui est venu à Paris avec deux de ses frères pour y exercer le métier de broyeur de couleurs et de peintre en bâtiments, avait dans un premier temps épousé une jeune femme originaire du même village que lui.

Mariage en juin 1860 à Paris, accouchement en novembre à la maternité Port-Royal, décès de la jeune femme à l'hôpital dans les jours qui suivent et mort de la petite Marie Léonie neuf jours après sa naissance. Le jeune marié de l'été se retrouvait veuf sans enfant cinq mois plus tard, après avoir été père durant quelques jours (s'il y a un mot pour les enfants qui ont perdu précocement leurs parents, celui d'orphelin, comment dit-on pour les parents qui ont perdu leur enfant en bas âge ?).

Histoire trop brève sans doute : le souvenir de la piqueuse de bottines n'avait pas été transmis aux générations suivantes. J'en fis un billet[1] à l'occasion du challenge AZ 2013. Fin du premier épisode.

Le jeune veuf se remarie l'année suivante, en novembre 1861, et mon grand-père voit le jour en juin 1865. Trois ans et demi entre les deux événements, tout de même, mais je restais persuadée que mon grand-père était fils unique. C'est en effectuant des recherches dans les tables décennales de Salbris, d'où était originaire Madeleine Laubret, la seconde épouse de mon arrière-grand-père, qu'un patronyme attira mon attention : un petit Alexandre Constant Chancé, décédé en juillet 1864 chez la veuve Alard où il avait été mis en nourrice !

Dans l'intervalle, les Archives de Paris avaient mis en ligne l'état civil numérisé. J'explorai donc les tables décennales de naissance de plusieurs arrondissements pour y dénicher l'acte de naissance d'Alexandre en juin 1864. Pas d'autre enfant du couple, apparemment. Bon ! Mon grand-père paternel avait eu un frère aîné, trop vite emporté pour laisser des traces dans la mémoire familiale. Fin du deuxième épisode.

Ces jours derniers, je m'apprêtais à assister à une conférence aux Archives de Paris. Autant profiter de l'occasion pour collecter quelques informations complémentaires sur mes ancêtres parisiens. Je préparais donc cette visite quand l'idée me traversa l'esprit de tester les données récemment mises en ligne par Filae. Une recherche patronymique m'a donné 138 occurrences sur Paris : la plupart concernaient des ancêtres déjà identifiés et des événements déjà connus, mais l'une d'elles m'a intriguée.


Chancé 1862 Décès : l'information était succincte, mais elle pointait directement vers la page du registre et là, nouvelle découverte :

"… a comparu Frédéric François Chancé, peintre en bâtiments,
âgé de vingt-huit ans, lequel nous a présenté un enfant sans
vie, du sexe masculin, qu'il nous a déclaré être sorti du sein de sa
mère, aujourd'hui à trois heures du matin, en son domicile…"

Un peu moins d'un an après la célébration de leur mariage, le couple formé par Frédéric Chancé et Madeleine Laubret avait eu la douleur de perdre un premier enfant. Mon grand-père paternel, prétendument fils unique, a donc été précédé par une demi-sœur et deux frères, l'un mort-né, les deux autres décédés en très bas âge. Cruel XIXe siècle, dans la continuité de combien de siècles d'une effrayante mortalité infantile…

Si je vous raconte cela aujourd'hui, c'est pour en tirer un enseignement sur la pratique de la recherche généalogique. Quelques principes à respecter, à mon avis, pour éviter les erreurs : 
  • Ne jamais prendre pour argent comptant les allégations familiales,

  • Remonter aux sources premières, celles qui sont enregistrées au moment où surviennent les événements par les témoins de ces événements, 

  • Recouper inlassablement les informations en multipliant les sources d'origines différentes,

  • Et puis ne pas hésiter à emprunter les chemins de traverse lorsque la voie principale semble sans issue…

Focalisée sur une éventuelle naissance, j'avais négligé de jeter un œil sur les actes de décès et j'avais laissé passer une information parmi tant d'autres. Il faut apprendre à penser en dehors de la boîte, comme disent nos amis anglo-saxons.



[1] Voir le billet P comme piqueuse de bottines, publié le 18 avril 2013.

2 commentaires:

  1. Sages conseils
    Terrible,cette chape de silence sur ces petits enfants

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  2. Merci Dominique pour ce partage d'expérience. Ne pas prendre pour argent comptant les légendes familiales, au risque de fermer des portes... Dans ce cas précis, il ne pouvait pas savoir qu'il avait eu une demi-soeur et deux frères, mais quelques fois, la vérité est cachée pour de multiples raisons. Parfois, j'ai plus l'impression d'être un détective !

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