"Fille unique d'un père fils unique qui, lui-même,
avait un père fils unique", combien de fois ai-je entendu cela ? et comment
mettre en doute la parole paternelle ? Pourtant… la recherche généalogique
est une patiente et lente démolition des légendes familiales.
À mes débuts, j'ai écrit aux mairies concernées pour leur
demander l'acte de naissance, l'acte de mariage et l'acte de décès de mon
grand-père paternel, en attendant la mise en ligne de l'état civil parisien. Puis,
persuadée d'avoir fait le tour de la question, je suis allègrement passée à la
génération précédente.
Je ne sais plus très bien comment j'ai découvert que mon
arrière-grand-père normand, celui qui est venu à Paris avec deux de ses frères
pour y exercer le métier de broyeur de couleurs et de peintre en bâtiments,
avait dans un premier temps épousé une jeune femme originaire du même village
que lui.
Mariage en juin 1860 à Paris, accouchement en novembre à la
maternité Port-Royal, décès de la jeune femme à l'hôpital dans les jours qui
suivent et mort de la petite Marie Léonie neuf jours après sa naissance. Le
jeune marié de l'été se retrouvait veuf sans enfant cinq mois plus tard, après
avoir été père durant quelques jours (s'il y a un mot pour les enfants qui ont
perdu précocement leurs parents, celui d'orphelin, comment dit-on pour les
parents qui ont perdu leur enfant en bas âge ?).
Histoire trop brève sans doute : le souvenir de la
piqueuse de bottines n'avait pas été transmis aux générations suivantes. J'en
fis un billet[1] à
l'occasion du challenge AZ 2013. Fin du premier épisode.
Le jeune veuf se remarie l'année suivante, en novembre 1861,
et mon grand-père voit le jour en juin 1865. Trois ans et demi entre les deux
événements, tout de même, mais je restais persuadée que mon grand-père était fils
unique. C'est en effectuant des recherches dans les tables décennales de
Salbris, d'où était originaire Madeleine Laubret, la seconde épouse de mon
arrière-grand-père, qu'un patronyme attira mon attention : un petit
Alexandre Constant Chancé, décédé en juillet 1864 chez la veuve Alard où il
avait été mis en nourrice !
Dans l'intervalle, les Archives de Paris avaient mis en
ligne l'état civil numérisé. J'explorai donc les tables décennales de naissance
de plusieurs arrondissements pour y dénicher l'acte de naissance d'Alexandre en
juin 1864. Pas d'autre enfant du couple, apparemment. Bon ! Mon grand-père
paternel avait eu un frère aîné, trop vite emporté pour laisser des traces dans
la mémoire familiale. Fin du deuxième épisode.
Ces jours derniers, je m'apprêtais à assister à une
conférence aux Archives de Paris. Autant profiter de l'occasion pour collecter
quelques informations complémentaires sur mes ancêtres parisiens. Je préparais
donc cette visite quand l'idée me traversa l'esprit de tester les données
récemment mises en ligne par Filae. Une recherche patronymique m'a donné 138
occurrences sur Paris : la plupart concernaient des ancêtres déjà
identifiés et des événements déjà connus, mais l'une d'elles m'a intriguée.
Chancé 1862 Décès : l'information était succincte, mais elle pointait
directement vers la page du registre et là, nouvelle découverte :
"… a comparu Frédéric François Chancé, peintre en bâtiments,
âgé de vingt-huit ans, lequel nous a présenté un enfant sans
vie, du sexe masculin, qu'il nous a déclaré être sorti du sein de sa
mère, aujourd'hui à trois heures du matin, en son domicile…"
âgé de vingt-huit ans, lequel nous a présenté un enfant sans
vie, du sexe masculin, qu'il nous a déclaré être sorti du sein de sa
mère, aujourd'hui à trois heures du matin, en son domicile…"
Un peu moins d'un an après la célébration de leur mariage,
le couple formé par Frédéric Chancé et Madeleine Laubret avait eu la douleur de
perdre un premier enfant. Mon grand-père paternel, prétendument fils unique, a
donc été précédé par une demi-sœur et deux frères, l'un mort-né, les deux
autres décédés en très bas âge. Cruel XIXe siècle, dans la
continuité de combien de siècles d'une effrayante mortalité infantile…
Si je vous raconte cela aujourd'hui, c'est pour en tirer un
enseignement sur la pratique de la recherche généalogique. Quelques principes à
respecter, à mon avis, pour éviter les erreurs :
- Ne jamais prendre pour argent comptant les allégations familiales,
- Remonter aux sources premières, celles qui sont enregistrées au moment où surviennent les événements par les témoins de ces événements,
- Recouper inlassablement les informations en multipliant les sources d'origines différentes,
- Et puis ne pas hésiter à emprunter les chemins de traverse lorsque la voie principale semble sans issue…
Focalisée sur une éventuelle naissance, j'avais négligé de
jeter un œil sur les actes de décès et j'avais laissé passer une information
parmi tant d'autres. Il faut apprendre à penser en dehors de la boîte, comme
disent nos amis anglo-saxons.
Sages conseils
RépondreSupprimerTerrible,cette chape de silence sur ces petits enfants
Merci Dominique pour ce partage d'expérience. Ne pas prendre pour argent comptant les légendes familiales, au risque de fermer des portes... Dans ce cas précis, il ne pouvait pas savoir qu'il avait eu une demi-soeur et deux frères, mais quelques fois, la vérité est cachée pour de multiples raisons. Parfois, j'ai plus l'impression d'être un détective !
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