lundi 31 octobre 2016

Garçon de recettes

Je consulte le répertoire des élèves du collège Chaptal(1) et j'y trouve, comme je m'y attendais, le nom de mon père… mais une mention en bout de ligne ne laisse pas de me surprendre. À la rubrique "Profession des parents", ces quelques mots : garçon de recettes Société générale !

Mon grand-père a exercé divers emplois, avant d'entrer à la Compagnie du Chemin de fer métropolitain de Paris(2) en septembre 1902. Il y fut notamment chef de train, puis chef de gare. Mis à la retraite le 1er juillet 1920, il fut néanmoins maintenu en poste comme agent auxiliaire en attendant la liquidation de ses droits, mais insatisfait du traitement qui lui était infligé, semble-t-il, il démissionna dès le 1er août suivant.

Naïvement, j'avais imaginé qu'à partir de ce moment il n'avait plus exercé aucune profession. Il en a manifestement été autrement : j'avais sans doute mal mesuré les contraintes financières qui pesaient sur le couple, avec un enfant à charge.

L'automne 1920, c'est le moment où mon père entre au collège Chaptal. Le répertoire des élèves est établi à la date de sortie, soit 1924, mais les informations qu'il comporte ont vraisemblablement été tirées des dossiers des élèves, ouverts lors de leur entrée dans l'établissement. Mon grand-père a donc exercé le métier de garçon de recettes durant un temps indéterminé, après sa mise à la retraite. Alors, de quoi s'agit-il ?

Une recherche sur internet me donne rapidement accès à deux sites, celui de BNP Paribas et celui de la Société générale, qui évoquent les anciens métiers de la banque, aujourd'hui disparus.

L'activité du garçon de recettes est liée aux opérations de crédit à court terme. Vous n'ignorez pas que le règlement des factures émises par les commerçants et les artisans se fait souvent à l'aide d'effets de commerce : un document qui comporte entre autres mentions le nom du débiteur, la somme qu'il s'engage à régler et la date à laquelle il s'acquittera de sa dette, plusieurs semaines, voire plusieurs mois plus tard.

Le commerçant a deux possibilités. Soit il attend l'échéance et, au jour dit, il présente le document à son débiteur pour encaisser l'argent. Soit il a un besoin urgent de trésorerie et, avant l'échéance, il transfère sa créance à la banque, qui lui remet la somme, déduction faite des agios d'escompte et d'une commission. C'est le principe même du crédit à court terme.

De son côté, la banque attend l'échéance pour encaisser les fonds et c'est ici qu'intervient le garçon de recettes : celui-ci se rend auprès du débiteur pour lui présenter la traite et recevoir en échange les espèces. Pour ce faire, il est revêtu d'un uniforme, jaquette sombre à boutons d'argent, bicorne, sacoche à la main et plaque au nom de la banque sur la poitrine.

Le garçon de recettes, dessin de Jean Emile Laboureur, 1904-1905
Source Gallica

Un tel accoutrement attire inévitablement l'œil des malandrins. L'affaire la plus célèbre est celle de la bande à Bonnot(3). Le 21 décembre 1911, rue Ordener à Paris, plusieurs hommes attaquent un garçon de recettes de la Société générale, le blessent grièvement, lui arrachent sa sacoche et s'enfuient en Delaunay-Belleville. Le butin s'élève à cinq mille francs environ.

De mémoire de policier, c'est le premier braquage réalisé à l'aide d'une automobile. L'affaire devait se terminer quelques mois plus tard, par l'assaut meurtrier d'un pavillon à Choisy-le-Roi en avril 1912 (opération au cours de laquelle Jules Bonnot trouva la mort) et d'un autre pavillon à Nogent-sur-Marne, où deux autres membres de la bande s'étaient retranchés, le mois suivant.

Métier à risque, donc, comme celui des convoyeurs de fonds aujourd'hui. Le mot "garçon" ne doit d'ailleurs pas nous leurrer sur l'âge auquel il était exercé. L'un des deux sites consultés indique une préférence pour les hommes d'âge mûr, qui avaient fait leur preuve en matière de rigueur et d'honnêteté.

Une dernière anecdote, en passant. Mon père avait évoqué devant moi à plusieurs reprises le pantalon de nankin qui faisait partie de l'uniforme de son père, l'attribuant à la Compagnie du métropolitain. Or, sur le site de la Société générale(4), figure une illustration : on y voit un garçon de recettes devant l'entrée d'une agence et, devinez, il porte un magnifique pantalon blanc !



(1) Voir mon précédent billet.

(2) Voir le billet intitulé "Une matinéeaux Archives historiques de la RATP", publié le 30 novembre 2015.

(3) Voir à ce sujet le livre de Gilbert Guilleminault, Le Roman vrai de la IIIe et de la IVe République 1870-1958, Editions Robert Laffont, collection Bouquins, 2 tomes, paru en 1991.

(4) Voir Métiers d'autrefois : le personnel des agences de 1864 au début des années 50 https://www.societegenerale.com/fr/connaitre-notre-entreprise/identite/150-ans-d-histoire/l-esprit-d-equipe/metiers-d-autrefois

2 commentaires:

  1. bonjour

    un pantalon de Nankin est "jaune chamois"...

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    1. Vous avez raison. Je ne retrouve pas l'illustration, mais je suppose qu'elle était en noir et blanc. J'aurais dû dire "de couleur claire".

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