lundi 26 septembre 2016

Je n'ai pas bien compris votre prénom…

Je transcrivais l'acte de mariage d'Etienne Brisseau et de Julienne Salmon à la Cropte en février 1760, lorsque je butai sur des prénoms pour le moins inusités : la jeune épouse était dite "fille de Pierre Ermain Egide Salmon présent et consentant et de Julienne Chardon aussi présente et consentante". Lequel père signe "pierre eg Salmon" !


Intriguée, je cherche le mariage des parents en question pour vérifier les prénoms. Et le trouve dans la même paroisse à la date du 21 avril 1741. Le curé appelle le marié Pierre, mais ajoute un renvoi en marge : je déchiffre "Herminigilde"…

Poussons donc jusqu'à l'acte de baptême, le 1er mai 1715 : l'enfant est bien appelé Herménégilde. Le père se prénomme prosaïquement Jean, la mère Marie, les parrain et marraine Jean et Françoise. Avec toutefois une particularité : Jean Aurelle et Françoise Bourdoiseau tiennent le nouveau-né sur les fonts baptismaux en vertu d'une commission du chevalier de Montesson et de sa sœur Marie. En d'autres termes, ils les remplacent en leur absence.

Mais d'où vient cet étrange prénom ? Herménégilde, fils de Léovigilde, était un prince wisigoth du VIe siècle. Il abjura l'arianisme(1) dans la principale église de Séville, se proclama roi d'Espagne contre son père, se battit contre lui et fut finalement capturé et emprisonné à Tarragone. Ayant refusé la communion pascale des mains de l'évêque acquis aux idées de l'arianisme, il fut tué d'un coup de hache. Façon expéditive de régler les conflits de succession.

L'Église, qui le considère comme un martyr de la foi chrétienne, le canonisa au XVIe siècle. À ce titre, il est fêté le 13 avril.

Francisco Herrera El Mozo, Le triomphe d'Herménégilde
Musée du Prado

Je n'avais jamais entendu ce prénom auparavant. Une recherche sur Geneanet donne néanmoins plus de 16 000 résultats, dont près de 9 000 pour le seul Canada, où existe un village appelé Saint-Herménégilde dans la belle province du Québec, à une vingtaine de kilomètres au nord de la frontière de l'Etat du Vermont (Etats-Unis).

Mais pourquoi diable les parents ont-ils appelé leur fils Herménégilde ?

Le prénom semble inconnu dans leur région. En réalité, je soupçonne Charles de Montesson et sa sœur. Comme je peinais à déchiffrer l'écriture du curé, j'ai tâtonné un moment : Morisson, Monisson, Moursson (mais alors pourquoi deux S), avant d'opter pour Montesson et de découvrir que ces deux-là étaient déjà parrain et marraine en octobre 1714, à Saint-Ouen-des-Oies(2), d'un petit Rigomer ! Prénom emprunté à un saint du VIe siècle, prédicateur dans le diocèse du Mans, si j'en crois un site déniché sur la toile. Farceurs, les Montesson ?

Quoiqu'il en soit, notre Herménégilde Salmon préférait se faire appeler Pierre par ses parents et ses amis.




(1) Doctrine qui nie la nature divine du Christ et, à ce titre, fut condamnée comme hérésie par le Concile de Nicée (325).

(2) Aujourd'hui Saint-Oüen-des-Vallons (Mayenne), commune où est situé le château de la Roche-Pichemer, qui appartint à la famille de Montesson de 1645 à 1778 (source Wikipedia).

2 commentaires:

  1. Encore une fois bravo pour ta tenacité dans les recherches ! et merci pour notre culture (l'arianisme).
    Quant à ce prénom surprenant je vais le suggérer à mes enfants, futurs parents.

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