J'ai déjà brièvement évoqué les quatre frères de ma
grand-mère Julia, à l'occasion du challenge AZ 2014. L'éloignement
géographique, des décès survenus alors que j'étais encore enfant ou
adolescente, enfin des différends familiaux liés à de sombres histoires de dot
et d'héritages, ont fait que je les ai fort peu connus, voire pas du tout pour
deux d'entre eux.
Je cherchais donc à en apprendre davantage sur leur compte,
en toute sérénité et sans acrimonie. Permettez-moi de vous parler aujourd'hui
de Jean Baptiste Raphaël Théodore Fourcade (1894-1963), par ailleurs
toujours évoqué dans la famille sous le diminutif de Théo, sans doute pour le
distinguer de son père.
Photos de famille
Jusqu'à ces dernières semaines, je ne disposais guère que de
quelques informations généalogiques faciles à obtenir et de deux photographies.
Sur la première, il figure en compagnie de ses trois frères. Théodore Fourcade
père est assis dans un fauteuil, en costume trois pièces, nœud papillon et col
dur à coins cassés, les bottines soigneusement cirées et la barbiche
avantageuse. Les deux aînés, Joseph et Jean, sont en uniforme ; les deux autres,
Théo (le plus grand, raie au milieu, petite moustache) et Henri (le plus jeune),
en tenue civile impeccable.
Théodore Fourcade entouré de ses quatre fils Collection personnelle |
La photo ne peut être antérieure à 1916, si j'en crois deux
indices liés à la Première Guerre mondiale : le numéro régimentaire sur le
col de Joseph (celui-ci n'est passé au 118e régiment d'artillerie
lourde qu'en décembre 1915) et les brisques sur la manche gauche de Jean, qui
indiquent deux années complètes de présence sur le front.
Théo et Henri Fourcade Collection personnelle |
Sur le second cliché, manifestement pris le même jour, ne
figurent plus que Théo et Henri, le plus âgé posant une main protectrice sur
son jeune frère. Tous deux sont sans doute sur le point de partir poursuivre
leurs études à Paris, architecture à l'Ecole nationale supérieure des
Beaux-Arts pour Théo et ingénierie à l'Ecole centrale des Arts et Manufactures
pour Henri.
Élève architecte
La récente mise en ligne du Dictionnaire des élèves
architectes de l'Ecole des Beaux-Arts m'a permis d'en apprendre davantage.
Disponible sur le site de l'AGORHA(1),
ce dictionnaire permet d'obtenir en quelques clics une notice biographique et
même, dans certains cas, le dossier de l'élève conservé aux Archives
nationales. Voyons cela.
J'y apprends que le jeune Théodore Fourcade a tenté
l'admission à l'Ecole les 16 février et 15 juin 1914 (à vingt ans à
peine), qu'il fut admis en 2e classe le 7 juillet 1917 et
en 1ère classe le 28 décembre 1920, enfin qu'il fut
diplômé le 27 février 1923 (à vingt-neuf ans, donc). Pardon pour cette
avalanche de dates !
Neuf ans d'études ? Cela me paraît bien long, mais
n'oublions pas que Théo fit un bref passage au 144e régiment
d'infanterie avant d'être réformé en 1915.
Il est également question dans la notice biographique de "valeurs",
de "récompenses" et d'ateliers. Bref, des concepts qui échappent un
peu à une ancienne élève d'école de commerce comme moi, plus habituée à un
cursus balisé en années scolaires, avec concours d'entrée, examen de sortie et
barème de notes sur 20. J'ai donc tenté d'y voir plus clair.
L'enseignement de
l'architecture aux Beaux-Arts
L'Académie royale de peinture et de sculpture, fondée en
1648, et celle d'architecture, fondée en 1671, disparurent dans la tourmente
révolutionnaire, pour réapparaître quelques années plus tard sous la forme
d'une Académie des Beaux-Arts.
Une école fut mise en place, avec des administrateurs et des
professeurs choisis par les Académiciens. Cette école passa progressivement sous
la tutelle d'un ministère (impérial sous Napoléon III, de l'Instruction
publique et des Beaux-Arts, puis de la Culture ensuite). Elle comprenait trois disciplines,
peinture, sculpture et architecture, enseignées simultanément, et fonctionnait
selon un mode qui combinait cours magistraux en amphithéâtre et travaux en
atelier.
La durée des études s'expliquait en partie par le mode
d'admission : un concours fort sélectif, auxquels les aspirants se préparaient
longuement dans des ateliers, sous la direction d'un chef d'atelier plus ou
moins renommé, dans l'enceinte de l'Ecole ou à l'extérieur.
Lorsqu'ils étaient admis en seconde classe, les élèves
architectes étaient tenus d'obtenir un certain nombre de "valeurs"
dans des disciplines techniques (statique, géométrie, stéréotomie, perspective,
construction, physique, chimie, etc.), ainsi que des "mentions" sur
des projets architecturaux. Le tout conditionnait leur admission en première
classe, qui fonctionnait selon le même principe de "valeurs" et de
"récompenses".
En fin de parcours, l'élève architecte présentait un projet
(plans, croquis, vues perspectives, éventuellement maquettes) à un jury et, en
cas de succès, devenait architecte DPLG, c'est-à-dire diplômé par le
gouvernement !
Je parle au passé, car
l'enseignement de l'architecture a été profondément réformé par André Malraux après
1968 et il ne relève plus à l'heure actuelle de l'Ecole nationale supérieure
des Beaux-Arts(2).
Après le diplôme
Mais revenons à Théo Fourcade. Au
concours d'admission en 1917, il plancha sur un oratoire, semble-t-il, et il
eut à répondre à cette question bien dans l'air du temps : "Quelle est parmi les villes françaises
détruites par l'ennemi, celle que vous admiriez le plus. Indiquer les raisons
artistiques et historiques de votre préférence."
Pour sujet de diplôme, il
présenta un projet d'usine hydroélectrique en montagne. Réminiscence de ses
origines pyrénéennes ? Peut-être.
Et ensuite ? Eh bien, le
11 avril 1923, un mois et demi après avoir décroché son diplôme, il épousa
la fille de l'architecte Constant Lemaire et prit bientôt la succession de ce
dernier. Il deviendra architecte expert près la Cour d'appel de Paris et près
le Tribunal de grande instance de la Seine et sera agréé par le Ministère de la
Reconstruction et de l'Urbanisme pour les départements de la Seine, de la
Seine-et-Oise et du Calvados, après la Deuxième Guerre mondiale.
Une dernière précision… Au XIXe
siècle, les architectes prirent l'habitude d'inscrire fièrement leur nom, suivi
d'une date, sur la façade des immeubles qu'ils avaient conçus. La mode perdura pendant
une bonne partie du XXe siècle et il existe au moins un immeuble
parisien sur lequel est inscrit le nom de Théo Fourcade, à côté de celui de son
beau-père.
Faites un tour dans le 5e arrondissement,
entre la rue Monge et la place de la Contrescarpe. Le n°38 de la rue Lacépède
est un immeuble de six étages, en brique claire, avec huit fenêtres en façade.
À la hauteur du premier étage, entre les deux fenêtres centrales, vous
découvrirez cette inscription.
Sous les balcons du 5e
étage court une frise florale, qui nous rappelle que mon grand-oncle décrocha
une médaille en dessin ornemental. Je sais qu'il résida dans cet immeuble
jusqu'à la fin de sa vie, mais j'ignore à quel étage était son appartement.
(1) Accès Global et Organisé aux Ressources en Histoire de l'Art, à l'adresse
suivante http://agorha.inha.fr/inhaprod/jsp/reference.jsp?reference=INHA__METADONNEES__7
Pour le consulter, suivre les explications très claires
fournies sur le blog Généa-logiques https://genealogiques.wordpress.com/2016/02/17/un-ancetre-architecte/
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(2) Ceux qui veulent en apprendre davantage sur l'enseignement des Beaux-Arts liront
l'article de C. Samoyault-Muller à l'adresse suivante
Merci pour la mention.
RépondreSupprimerQuand nos ancêtres ont un métier tel celui de ton grand-oncle, architecte, c'est un vrai plaisir de suivre leur parcours grâce aux archives. Tu l'as très bien fait et c'est fort intéressant.
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