lundi 15 juin 2015

Une affaire rondement menée

Les faits

Le 16 juin 1798, pardon le 28 prairial an VI, Marie Nicolas se présente devant Maître Bosc, notaire public à Peyrus (département de la Drôme), accompagnée de huit de ses voisins. Il s'agit d'établir un acte de notoriété selon lequel Pierre Roux, qu'elle a épousé le 31 janvier 1792, alors qu'elle n'avait que vingt ans, n'est pas reparu depuis plus de cinq ans ! Volatilisé, le bonhomme ! La petite troupe le dit, le certifie, l'atteste… et signe. Y compris la principale intéressée.

Signature de Marie Nicolas, au bas de l'acte de notoriété

Le lendemain, 17 juin 1798, Marie Nicolas va trouver François Couruol, adjoint municipal, pour lui demander de dissoudre son mariage. Mais il lui faut au préalable enregistrer l'acte de notoriété à Chabeuil, chef-lieu du canton : c'est chose faite le 20 juin. Il faut également avertir officiellement le mari absent : le dénommé Regnaud s'en charge le 26 juin, à son dernier domicile connu à Peyrus, sans résultat, évidemment.

Le 6 juillet, en présence de Marie Nicolas et de quatre témoins, François Couruol constate donc que Pierre Roux ne s'est pas présenté à la convocation à la date ni à l'heure fixées ; il prononce la dissolution du mariage. Il est intéressant de noter qu'il fait référence au contrat passé devant notaire, une semaine avant la bénédiction nuptiale, et non pas à la cérémonie religieuse proprement dite, inscrite dans le registre paroissial par le curé. Cérémonie à laquelle il avait d'ailleurs participé en tant que témoin.

Il commet en outre une erreur, qui échappe apparemment à toutes les personnes présentes, puisqu'il date l'acte notarié du "vingt-quatre janvier nonante trois", et non pas du 24 janvier 1792. Peu importe. Pierre Roux et Marie Nicolas sont désormais "libres de leur personne et de leurs biens".

Douze jours plus tard, le 18 juillet à l'heure de midi, le même François Couruol, à nouveau sollicité, publie les bans du futur mariage entre Antoine Morel et Marie Nicolas et fait afficher la publication à l'arbre de la liberté ! Tiens, donc.

Enfin, le 22 juillet à neuf heures du soir, c'est-à-dire six jours après la publication des bans et non pas huit comme le prévoit pourtant le décret, mais nous n'en sommes pas à une erreur près, "Antoine Morel et Marie Nicolas sont unis en mariage", devant témoins. Ils en profitent pour reconnaître Jean Antoine, né seize mois plus tôt, comme leur enfant légitime. J'y reviendrai, c'est une affaire à rebondissements.

Cinq semaines se sont écoulées entre la rédaction de l'acte de notoriété nécessaire au divorce et le remariage de Marie Nicolas. Une affaire rondement menée !

Un peu d'histoire

C'est une loi du 20 septembre 1792 qui a introduit en France la possibilité de dissoudre le mariage par un divorce. Outre le consentement mutuel ou l'incompatibilité d'humeur et de caractère alléguée par l'un des époux, sept motifs peuvent être invoqués :
  • La démence, la folie ou la fureur,
  • La condamnation d'un des époux à une peine afflictive ou infamante,
  • Des sévices ou mauvais traitements,
  • Le dérèglement notoire des mœurs,
  • L'abandon depuis deux ans au moins,
  • L'absence d'un des époux, sans nouvelle depuis cinq ans au moins,
  • L'émigration. 

C'est donc sur le motif d'absence, sans nouvelle depuis cinq ans au moins, que s'est appuyée Marie Nicolas pour demander le divorce. Un rapide calcul me conduit à penser que Pierre Roux a sans doute quitté Peyrus fin 1792 ou début 1793, dans l'année qui a suivi son mariage : volontaire dans les armées de la République ? c'est plus ou moins évoqué dans l'acte de naissance de Jean Antoine, mais je n'ai pas encore eu le temps de creuser la question.

Les recherches dans les archives numérisées de la Drôme

Marie Nicolas n'est autre que la mère de François Morel, dont j'ai déjà parlé à plusieurs reprises(1). Elle fait partie de mes ancêtres à la sixième génération, du côté maternel (Sosa 53).

J'ai rencontré son nom pour la première fois dans l'acte de naissance de François Morel, daté du premier frimaire an IX, transmis par un bénévole de l'entraide FranceGenWeb, à mes débuts en généalogie.

J'ai pu pousser plus loin les recherches dès que les archives de la Drôme ont été mises en ligne. Avec un seul hic : pas de registres d'état civil, tout du moins pour Peyrus, avant l'an XI, seules les tables décennales étaient disponibles. Donc pas d'acte de mariage, ni d'acte de naissance pour les années 1793 à 1802, seulement des dates…

Et puis, j'ai eu l'idée d'un billet sur Jean Antoine Morel, le frère aîné de François (qui s'est d'abord appelé Jean Antoine Roux), et j'ai voulu vérifier deux ou trois trucs. Et là, bingo ! J'ai découvert que le site s'était enrichi à mon insu ; de nouveaux registres avaient été numérisés ; au détour d'une page, j'ai lu l'acte de divorce de Marie Nicolas et comme c'était mon jour de chance, l'acte de notoriété rédigé par le notaire était resté intercalé entre les feuilles du registre. J'ai également trouvé les bans et l'acte de mariage qui me manquaient. D'où ce billet, en attendant celui initialement prévu.

2 commentaires:

  1. Oh ! aujourd'hui je viens d'écrire sur mon AGM qui a pour nom : "Marie Nicolas" . Ce nom n'est pas rare, mais quelle coincidence !
    Bravo pour ce billet.

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  2. Une femme de caractère ! il fallait bien qu'elle trouve une solution !
    et elle était peut être la première de la commune à demander le divorce

    Dans l'Aisne, une sœur d'un de mes ancêtres a aussi utilisé ce nouveau droit vers 1795 environ,

    Fanny-Nésida

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