lundi 1 juin 2015

L'affaire de la procession des Rogations (2)

Je vous contais ici même, la semaine dernière, l'échauffourée qui eut lieu au Louroux-Béconnais, le 13 mai 1681, à l'occasion de la procession des Rogations, et la longue bataille judiciaire qui s'ensuivit entre le curé, René Serezin, et l'un de ses paroissiens plutôt soupe-au-lait, François de la Grange.

Permettez-moi d'y revenir aujourd'hui. Je vous fais grâce du texte original, que vous pouvez trouver dans les registres paroissiaux  (AD Maine-et-Loire, Louroux-Béconnais BMS 1674-1683, vues 206 à 208/266, 226/266, 231 à 234/266). Il représente une quinzaine de pages et comprend ce que le curé du Louroux considère comme les trois pièces maîtresses de l'affaire : la plainte qu'il a déposée, le monitoire émis par l'évêque d'Angers et l'arrêt des messieurs de la Tournelle. Mais au cas où, poussés par la curiosité, vous vous reporteriez au registre dans lequel je l'ai déniché, voici quelques explications complémentaires.

Commençons par les Rogations. De quoi s'agit-il ? Des trois jours (lundi, mardi, mercredi) qui précèdent l'Ascension et qui, depuis le Ve siècle, correspondent dans le culte catholique à une période de prières et de processions. Pour attirer la bénédiction divine sur les animaux et les récoltes, dixit le Petit Larousse illustré. Comme souvent dans la religion chrétienne, ce rite reprend une tradition païenne, en l'occurrence la fête romaine des Robigalia, qui précédait les calendes de mai.

Continuons par la croix et la bannière. L'expression est passée dans le langage courant pour indiquer de grandes complications ou de grandes difficultés à obtenir un résultat. Elle fait directement référence aux processions organisées suivant un protocole rigoureux : la croix est brandie en tête du cortège, suivie d'une ou de plusieurs bannières, qui représentent la Vierge, les saints, les confréries et les paroisses, et il s'agit de respecter un certain ordre sans froisser les susceptibilités toujours promptes à s'enflammer. Quasi impossible !

Bannière photographiée dans une église d'Avranches,
collection personnelle

Un peu de vocabulaire juridique, maintenant.

Le monitoire est une demande adressée par une autorité ecclésiastique à des personnes qui ont connaissance d'un fait pour les obliger à témoigner, sous peine d'excommunication en cas de dérobade. Bigre !

Le récolement, que l'on peut comprendre comme la vérification des pièces d'un inventaire, des objets d'une collection, d'une bibliothèque ou d'un fonds documentaire, est en droit de l'Ancien Régime la réitération des témoignages. Vous savez, cette insistance des enquêteurs à poser encore et encore les mêmes questions, comme dans les séries télévisées…

Le décret d'ajournement personnel, dont François de la Grange fait l'objet en mai 1681 de la part du lieutenant général criminel d'Angers, est défini par l'Encyclopédie (celle de d'Alembert et de Diderot) en ces termes : "Jugement rendu en matière criminelle contre l'accusé, qui le condamne à comparoître en personne devant le juge pour être ouï et interrogé sur les faits résultant des charges et informations et autres sur lesquels le ministère public voudra le faire interroger, et pour répondre à ses conclusions". Un mandat de comparution, donc.

La sentence prononcée le 12 juillet 1681 par le lieutenant criminel d'Angers (encore lui), portant règlement à l'extraordinaire, renvoie aux différentes étapes de la procédure criminelle. Celle-ci est décrite de la façon suivante dans le Dictionnaire de l'Ancien Régime :

  • L'action publique peut être mise en mouvement par une plainte de la victime, une dénonciation auprès du ministère public, voire d'office par le juge lui-même ;
  • Le premier degré de l'instruction est constitué par les procès-verbaux du juge, les rapports des médecins et des chirurgiens, les monitoires de l'autorité ecclésiastique, l'interrogatoire de l'accusé, etc., et peut aboutir soit à un jugement qui clôt l'affaire, soit à une sentence de règlement à l'extraordinaire ;
  • Le deuxième degré de l'instruction, ou instruction à l'extraordinaire, comprend les récolements et les confrontations, pour tenter d'aboutir à des "preuves pleines" qui, seules, permettent aux juges de prononcer une condamnation ;
  • La dernière étape est constituée par l'audition du juge rapporteur, la lecture de toutes les pièces du procès, les conclusions de la partie publique et le prononcé du jugement.


L'expression "l'affaire est dans le sac" est directement inspirée de cet univers des gens de robe. Sous l'Ancien Régime, une fois l'instruction achevée, les pièces du procès étaient réunies dans de grands sacs de toile et de cuir (pour éviter qu'elles ne s'échappent de dossiers mal ficelés, comme de nos jours ?).

Vieux papiers, source PhotoPin

En février 1682, François de la Grange dépose à nouveau plainte devant le lieutenant criminel d'Angers, pour une sombre affaire de coups de feu qui auraient été tirés sur lui depuis le presbytère, ce qui déclenche une nouvelle collecte d'informations. La chambre de la Tournelle précise dans son arrêt avoir ordonné que "les dites informations seraient mises dans un sac à part et jointes à l'instance".


En guise de conclusion sur l'ensemble de l'affaire, je vous indiquerai que, quelques années plus tard, en juillet 1688, le sieur François de la Grange maria sa fille Marie Marguerite à Claude d'Aubigny, chevalier, seigneur de Boisrobert, dans l'église du Louroux-Béconnais.  La bénédiction nuptiale fut donnée par le curé de la paroisse voisine de Bécon-les-Granits, en l'absence fort opportune de René Serezin : l'animosité entre les deux personnages n'était sans doute pas tout à fait éteinte.

1 commentaire:

  1. Article une nouvelle fois fort instructif. On doit tellement d'expressions à notre passé sans avoir la moindre idée de leur origine ...

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