Vous connaissez mon goût pour les mentions insolites dans
les registres paroissiaux ? Aujourd'hui, l'histoire commence par le récit
d'un ouragan, rien de moins !
Source AD Deux-Sèvres 1 MIEC 120 R 355 vue 82/218 |
"La Posterité ne
desaprouvera pas qu'a la fin de ce Registre, je
marque un évenement aussi prodigieux qu'on en ait jamais oui parler :
je dirai donc que la nuit du quatorze au quinze du mois de mars
dernier, environ une heure apres minuit, commança une tempête,
ou ouragan qui continua quelques heures avec une telle violence,
qu'on ne sçavoit ou aller, ni ou se mettre pour estre en seureté ; les
toits de bien des Eglises et autres edifices ont êté enlevés, des murs
renversés ; les arbres les plus forts, et des mieux enracinés, ont êté
arrachés, comme les noyers, les ormeaux, les chênes, mesme dans les
forests, ce qui a fait, et causera pour longues années une tres grande
perte : bien des gens, dignes de foy, asseurent que tout ceci ne s'est
point
passé sans des tremblements de terre.
Nous curé de St.
Medard de la ville de Thouars, certifions les actes
contenus au present Registre serieux et veritables. Audit Thouars
le 31e Xbre 1751. R. Pignon Des Côteaux curé de St.
Medard"
L'événement est suffisamment exceptionnel, n'en doutons pas,
pour que le curé de Saint-Médard de Thouars éprouve le besoin de le mentionner
dans le registre paroissial, alors qu'il n'est pas coutumier du fait.
Je précise au passage que la ville de Thouars est située au
nord de l'actuel département des Deux-Sèvres, aux confins de l'Anjou, du Poitou
et de la Touraine, et qu'elle pencha tantôt pour le roi de France, tantôt pour
le roi d'Angleterre, notamment durant la Guerre de Cent Ans. Le bourg est
construit sur un promontoire rocheux qui domine la rivière et en fait une place
forte stratégiquement située depuis la nuit des temps. Mais revenons au XVIIIe
siècle.
C'est le lundi 15 mars 1751, au lendemain de cette nuit
de tempête, que Pierre Joubert voit le jour. Tristes circonstances pour un
début dans la vie, d'autant que sa mère est veuve depuis sept mois déjà. L'époux
de cette dernière, marchand orfèvre, a été inhumé dans l'église Saint-Médard le
5 août précédent, en présence de son frère Guy Joubert, notaire du duché,
et de son beau-frère Jacques Bergereau, lui aussi marchand orfèvre.
"Levez-vous vite, orages désirés…" dirait Chateaubriand, lui aussi venu au monde
un matin de tempête, du côté de Saint-Malo, en septembre 1768, dix-sept
ans plus tard.
On imagine aisément l'affolement dans la maison de la
parturiente, à une époque où chaque accouchement était périlleux aussi bien
pour la mère que pour l'enfant. Les hurlements du vent devaient ajouter une
note encore plus dramatique à la scène.
Portail de l'église Saint-Médard Source : Site de la ville de Thouars |
L'enfant est porté le lendemain 16 mars sur les fonts
baptismaux de l'église où repose le corps de son père. Il ignore encore qu'il
s'apprête à traverser, au cours de sa longue vie, une des périodes les plus
troublées de l'histoire de France. Né sous le règne de Louis XV, il
connaîtra la fin de l'Ancien Régime, la Révolution, le Directoire, le Consulat,
l'Empire, la Restauration et la Monarchie de Juillet !
Il reprendra le métier de son père et deviendra à son tour
marchand orfèvre, se mariera deux fois et aura cinq enfants, dont un hors
mariage, légitimé par la suite, avant de mourir en août 1838, à l'âge vénérable
de quatre-vingt-sept ans : "de son vivant rentier et dans l'ancien
temps orfèvre", précise l'acte de
décès.
J'ai fait sa connaissance (si je puis dire) en cherchant à
compléter les fratries de mes ancêtres. En effet, le jeune Pierre Joubert avait
épousé à Concourson-sur-Layon, en juin 1781, trente ans après le fameux
ouragan, Magdelaine Ambroise Richard du Chatellier ; celle-ci est la sœur
de René Pierre, mon Sosa 50. Et bien m'en a pris, car je cherchais
vainement l'acte de sépulture ou de décès de leur père, René Richard, sieur du
Chatellier, sans en déceler la moindre trace, ni dans la région de Concourson
où il s'était marié et où étaient nés ses six enfants, ni à Bressuire dont il
était originaire.
Source Heredis 2014 Onglet Famille, Migrations |
Jusqu'à ce que je trouve, je ne sais trop comment dans les
registres de Thouars (à l'époque, je ne tenais pas de journal de recherches, je
l'avoue) l'acte de décès de "Chatellier René Richard" le "23 prairial l'an sept de la
République française une et indivisible".
Le vieil homme, âgé de quatre-vingts ans selon les dires de l'adjoint de
l'agent municipal, avait rendu son dernier soupir chez un autre de ses gendres,
lui aussi installé à Thouars.
Le vent de l'histoire avait quelque peu bousculé les modes
de vie et déplacé les populations.
Que j'aime aussi ces anecdotes ! Elles nous font entrevoir ce qu'ont pu vivre nos ancêtres.
RépondreSupprimerTon archive insolite me régale. Tu connais mon gout partagé pour ces documents. Je suis allée fouiller dans mes indexations, et je te mitonne un écho ! A bientôt et bravo pour cet article
RépondreSupprimerAmitiés.
Superbe et très intéressant ! Merci pour ces récits Dominique.
RépondreSupprimerC'est vraiment sympa de mêler histoire de village et histoire familiale ! Merci Dominique !
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