J'évoquais brièvement la semaine dernière le destin de
Philibert Benjamin Letourneau. J'y reviens plus longuement aujourd'hui.
Mes ancêtres Letourneau sont originaires du Maine et se sont
établis à Château-Gontier, dans la Mayenne angevine, au milieu du XVIIIe
siècle, lorsque René Isidore, charpentier de son état, épousa Marie Hamon en
1750.
Vue générale de Château-Gontier, collection personnelle |
Le couple donna naissance à treize enfants au moins.
Lorsqu'ils parvenaient à l'âge adulte, les garçons étaient sergers(1),
tisserands ou charpentiers, les filles fileuses ou lingères. Pierre Letourneau,
avant-dernier de la fratrie et futur père de Philibert Benjamin, était pour sa
part fabricantd'étamines, ce qui m'a donné l'occasion de rédiger un article sur le sujet.
Installé à Meslay-du-Maine avec son épouse Marie Chardron,
elle-même fille d'un marchand, Pierre Letourneau fut tué par les Chouans sur la
place du bourg le 24 février 1796, alors qu'il venait d'avoir vingt-six
ans. Deux autres habitants du bourg, un marchand tissier de soixante-trois ans
et une femme âgée de soixante-huit ans, avaient été tués au même endroit la
veille au soir.
Orphelin à l'âge de
deux ans
Philibert Benjamin voit le jour cinq mois plus tard, le 1er
août 1796, deux ans après son frère aîné, également prénommé Pierre, et un an
après le petit Christophe qui ne vécut que deux semaines à peine.
Leur mère décède à son tour le 2 juillet 1798, avant
d'atteindre sa vingt-neuvième année.
Qui recueille les deux orphelins, Pierre, quatre ans, et
Philibert Benjamin, deux ans à peine ? Qui leur donne suffisamment
d'instruction pour qu'ils soient capables de signer d'une main ferme les actes
qui les concernent ? Qui leur enseigne le métier de menuisier ? Où
ont-ils vécu jusqu'à leur mariage ? À Château-Gontier, semble-t-il, mais
les autres questions demeurent à ce jour sans réponse.
Père de famille
Philibert Benjamin, mon ancêtre à la sixième génération,
épousa donc Marie Jeanne Perrine Dubois à Château-Gontier, le 11 novembre
1822 à neuf heures du matin. La ville, à vocation principalement textile,
comptait environ six mille habitants.
Philibert Benjamin avait alors vingt-six ans et sa jeune
épouse dix-huit ans. Une petite Marie Véronique Renée pointa le bout de son nez
dès le 25 mai suivant. Six frères et sœurs lui emboîtèrent le pas, dont un
petit dernier vingt ans plus tard. Tous ont vu le jour dans le domicile
familial, situé dans la Grande Rue de Château-Gontier.
Signature de Philibert Letourneau sur son acte de mariage |
Il s'agit d'une rue assez pentue, aujourd'hui bordée de
maisons anciennes dont certaines ont conservé leurs colombages, qui sinue
jusqu'aux berges de la rivière en contrebas.
C'est également là qu'Emmanuel Marie, fils naturel
d'Élisabeth Marie, jeune ouvrière célibataire de dix-neuf ans, et petit-fils de
Philibert Benjamin, vit le jour en novembre 1845. Une bouche de plus à nourrir…
Il y serait encore recensé dix ans plus tard.
Des métiers variés
Menuisier jusqu'à quarante-six ans au moins, si j'en crois
la profession indiquée dans les actes de naissance de ses enfants, Philibert
Benjamin s'est ensuite tourné vers d'autres professions. Plus lucratives ?
Nécessitant moins de force physique ? Comment savoir ?
Lors du mariage de sa fille aînée en 1845, il est qualifié
de "porteur de contraintes" ; en d'autres termes, il est chargé
de notifier aux contribuables récalcitrants les mises en demeure du
percepteur ! Métier à risque, on le verra plus loin. Peut-être est-ce le
frère de son épouse, Louis Aubin Dubois, huissier près la justice de paix du canton
de Craon qui lui a procuré ce poste ?
Au fil des recensements de la population, Philibert Benjamin
Letourneau est qualifié d'employé (1846), de porteur de contraintes (1851,
1856) et même d'agent d'assurances (1861, 1866).
Noyé dans la Mayenne
Il exerçait encore un métier à soixante et onze ans passés. Jusqu'à
ce jour fatal de novembre 1867, où le maire de Saint-Sulpice, canton de
Château-Gontier, rédigea l'acte suivant :
"… sont comparus
Pierre Valognes, âgé de cinquante-un ans, buraliste, domicilié au bourg de
notre commune, et Jacques Maingray, âgé de cinquante-un ans, cantonnier
demeurant aux Portes en notre commune, tous les deux non parents ;
lesquels nous ont déclaré que cette nuit à six heures du soir est décédé par
immersion dans la Mayenne au barrage de Neuville en notre commune le sieur
Benjamin-Philibert Letourneau…"
S'agissait-il d'un accident ? Ou bien fut-il poussé
dans la rivière par un mauvais payeur irascible ? Le corps a-t-il dérivé
au fil du courant et a-t-il été retenu par le barrage ? Là encore, comment
savoir ? Il faudrait consulter la presse locale de l'époque, une rapide
investigation sur internet ne m'ayant donné aucune piste. Je constate
simplement que l'identification du corps n'a pas présenté de difficulté
particulière, puisque l'acte est, semble-t-il, rédigé dès le lendemain
après-midi.
C'est ainsi que disparut Philibert Benjamin Letourneau, né
en pleine tourmente révolutionnaire et décédé de mort violente au temps de Napoléon III,
après une vie bien remplie.
(1) Fabricants de serge, c'est-à-dire d'un tissu auquel le mode d'entrecroisement
des fils de chaîne et de trame donne une robustesse particulière.
Un étrange destin, en effet...
RépondreSupprimerTrès interessant ce récit de vie ,avec toutes les professions exercées et cette mort mystérieuse pour finir ... peut-être effectivement dans les journaux de l'époque.
RépondreSupprimerMartine