lundi 5 juin 2017

Un citoyen pas si ordinaire

L'étude de la branche Déodat m'a conduite à m'intéresser à la famille Loumède, installée de longue date à Nay et avec laquelle elle semble avoir tissé de nombreux liens. Elle fait également partie de mes ancêtres. L'occasion de découvrir quelques pépites !

Des artisans tourneurs

Comme ce Guillaume Loumède, tourneur de chaises, par exemple. Marié une première fois avant 1755 avec Anne Puyo qui lui donne au moins sept enfants, il épouse trente-cinq ans plus tard, en mai 1789, une jeune veuve, Marie Sarrat. Neuf mois auparavant leur était né un petit Pierre, que Guillaume avait reconnu, mais qui n'avait vécu que trois semaines à peine.

Plusieurs enfants sont issus de cette union tardive. Dont un autre Pierre, né en octobre 1789, moins de cinq mois après le mariage. À première vue, un personnage qui n'attire pas l'attention. Il est tourneur, comme son père. Il épouse à vingt-sept ans, en février 1817, une jeune femme qui a trois ans de moins que lui. Surviennent les naissances, au rythme d'une tous les deux ans environ. Bref, rien que de très classique… jusqu'à cette mention que je lis dans l'acte de naissance de son fils Dominique en novembre 1830 :

"… est comparu Pierre Loumède, chevalier de la Légion d'honneur, âgé de quarante et un ans, domicilié à Nay…"

Un modeste artisan chevalier de la Légion d'honneur ? Voilà qui mérite des recherches plus approfondies. Un petit tour dans la base Léonore s'impose.

Soldat de l'Empereur

Le dossier comporte une vingtaine de pages, états de services, extrait d'acte de naissance, pièces administratives diverses, de quoi satisfaire ma curiosité.

Notre homme a participé aux campagnes napoléoniennes, non pas les plus glorieuses ni les plus connues, mais celles qui précèdent de peu la première abdication de l'Empereur, lorsque les Autrichiens, les Prussiens et les Russes étaient à quelques dizaines de lieues de Paris. Enrôlé sous les drapeaux comme simple soldat en mars 1813, Pierre est caporal en janvier 1814, puis sergent un mois plus tard. Promotion rapide, dans l'esprit du temps.

Portrait de Napoléon, Musée de l'Armée
Hôtel national des Invalides

Il participe à la campagne de France de 1814, est blessé deux fois à quelques jours d'intervalle, fait prisonnier à Nogent-sur-Seine le 14 mars et rentré trois semaines plus tard, le 8 avril.

Pierre était voltigeur au 36e régiment d'infanterie de ligne, dans la Grande Armée.

Le 1er septembre 1814, durant la Première Restauration, un 35e régiment d'infanterie de ligne est constitué à partir du 36e, du 142e et d'un bataillon de voltigeurs de la Garde impériale. Pierre, qui figure dans les effectifs jusqu'au 1er octobre 1815, fait désormais partie de l'Armée de la Loire.

Chevalier de la Légion d'honneur

Si je comprends bien le contenu de son dossier, notre homme a donc été promu chevalier de la Légion d'honneur en 1818, avec effet rétroactif à compter du 17 mars 1815. Selon le document qu'il signe le 8 juillet 1818, alors qu'il a regagné sa ville natale au pied des Pyrénées et qu'il s'y est marié, il prête d'ailleurs serment de fidélité au Roi : Louis XVIII avait conservé l'institution créée par Napoléon, en la rebaptisant Ordre royal.

Mais l'affaire se complique. Le 10 avril 1824, Pierre Loumède adresse une missive à son Excellence le Grand Chancelier de l'Ordre royal de la Légion d'honneur, pour réclamer son traitement des années 1820, 1822 et 1823. À l'époque, les chevaliers percevaient 250 francs par an, les officiers 1 000 francs, les commandants 2 000 francs et les grands officiers 5 000 francs. Des montants non négligeables, on s'en doute.

Lettre de Pierre Loumède au Grand Chancelier
Source Léonore LH/1666/53

Pierre tente d'apitoyer la Chancellerie, en arguant respectueusement du fait qu'il n'a pas d'autres ressources et qu'il est père d'une nombreuse famille.

Pierre ou Jean ?

Le hic dans cette affaire, c'est qu'il semble y avoir une certaine confusion entre deux Loumède, Pierre et Jean ! Ce qui déclenche une enquête de la Chancellerie : qui doit porter la décoration et, surtout, qui doit percevoir le traitement ? Elle va durer deux ans, avec échange de courriers, demandes de pièces…

Allons jeter un œil aux registres de contrôle des troupes disponibles en ligne, que je n'avais pas eu l'occasion de consulter jusqu'ici. Effectivement, notre militaire y est inscrit sous le prénom de Jean, né en 1793. Mais les documents figurant dans le dossier de la Légion d'honneur sont formels : c'est bien Pierre qui a servi sous les drapeaux et qui a été nommé chevalier, c'est à lui que sera versée la pension correspondante et c'est à ses héritiers que seront réglés les arrérages, après son décès le 1er décembre 1843.

Or Pierre Loumède, né le 6 octobre 1789, avait bien un frère prénommé Jean, né le 6 mai 1793, vivant et en âge d'être incorporé à l'armée en 1813. Alors il me vient une idée folle : et si Pierre avait pris la place de son frère Jean lors de la conscription ? Comment savoir ?


Je n'imaginais pas, en collectant les actes d'état civil de la famille Loumède, y découvrir un tel imbroglio !

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