Je tournais virtuellement les pages des registres
paroissiaux de Nay(1), pour
tenter d'étoffer la branche de mes ancêtres Déodat, lorsque, au détour d'un
feuillet, je tombai sur ceci :
AD 64 Nay 1733-1742 vue 21/219 |
"Le 27e May 1734 est né un enfant illégitime de
Marie de Louis qui a nommé pour père Pierre
Puyoo de la p(rése)nte ville, lesquels avoient fait
un grand scandale le 18 octobre 1733 s'étant
pris de leur autorité pour mari et femme à l'issuë de la Messe
de Paroisse et habitèrent publiquement ensemble
mais Monsieur le Procureur général ayant
été informé de cette témérité fit rendre arrêt
en grand chambre par lequel il est défendu
à Pierre Puyoo et Marie de Louis d'habiter
ensemble sous peine de mille écus, ordre aux jurats(2) d'y tenir la main
et qu'il seroit informé du scandale par Monsieur
de Carrere con(seill)er, le susd(it) enfant a été batisé
le 28e du mois de May à la présentation
de Jean Lajus natif de Mirepeix et de Catherine
Herbein native de Jonval diocèse de Rheims, mari
et femme par nous Dupoux curé de Naï"
Marie de Louis qui a nommé pour père Pierre
Puyoo de la p(rése)nte ville, lesquels avoient fait
un grand scandale le 18 octobre 1733 s'étant
pris de leur autorité pour mari et femme à l'issuë de la Messe
de Paroisse et habitèrent publiquement ensemble
mais Monsieur le Procureur général ayant
été informé de cette témérité fit rendre arrêt
en grand chambre par lequel il est défendu
à Pierre Puyoo et Marie de Louis d'habiter
ensemble sous peine de mille écus, ordre aux jurats(2) d'y tenir la main
et qu'il seroit informé du scandale par Monsieur
de Carrere con(seill)er, le susd(it) enfant a été batisé
le 28e du mois de May à la présentation
de Jean Lajus natif de Mirepeix et de Catherine
Herbein native de Jonval diocèse de Rheims, mari
et femme par nous Dupoux curé de Naï"
Dans sa sainte colère, notre brave curé en oublie de
préciser le prénom et le sexe de l'enfant ! Piquée par la curiosité, j'ai
poursuivi la lecture du registre et j'ai trouvé au fil des pages suivantes quelques
pépites qui m'ont permis d'en apprendre davantage.
Quatre mois à peine après ce baptême, le même curé indique
sobrement :
"Le 19e Sep(tem)bre 1734 est
décédée une fille illégitime
de Pierre Puyo et Marie de Louis et a été…
le 20 elle étoit agée de 20 mois."
de Pierre Puyo et Marie de Louis et a été…
le 20 elle étoit agée de 20 mois."
Une tache d'encre masque en partie le texte, mais on
comprend aisément que l'enfant a été enseveli. Le prêtre n'a pas jugé utile de
préciser son prénom et j'ai cherché en vain son baptême dans les derniers mois
de 1732 et les premiers mois de 1733.
La vindicte se rallume deux ans plus tard :
"Le 6e octobre 1736 est décédé un
enfant d'iniquité de
Marie Louis lequel avoit étébatisé ondoyé par
sage femme laquelle Marie Louis a nommé
pour père Pierre Puyo son fiancé lesquels n'ont
jamais receu la benediction nuptiale n'ayant
point rempli les devoirs de bons catholiques et
comme ils se prirent pour mari et femme…"
Marie Louis lequel avoit été
sage femme laquelle Marie Louis a nommé
pour père Pierre Puyo son fiancé lesquels n'ont
jamais receu la benediction nuptiale n'ayant
point rempli les devoirs de bons catholiques et
comme ils se prirent pour mari et femme…"
Mais vous connaissez déjà l'histoire. "Enfant d'iniquité", rien que ça : peste ! le
curé n'y va pas de main morte ! Quelques lignes plus loin, l'homme
d'église ne peut s'empêcher de laisser à nouveau percer sa désapprobation avec
des phrases bien senties : "lesd(its)
Pierre Puyo et Marie de Louis continuent scandaleusement à malverser",
"enfant qu'ils ont eu de leur
commerce scandaleux et illégitime…" et pas davantage de prénom que la
fois précédente.
Un nouveau marmot pointe le bout de son nez dix-huit mois
plus tard, dans un climat plus apaisé :
"Le 21e May 1738 est né Bernard fils illégitime
de Pierre Puyo et de Marie de Louis et a été
batisé le 22e à la présentation de Bernard Aliot
demeurant à Arros et de Marie Puyo qui ont
signé avec nous Dupoux curé de Naï"
de Pierre Puyo et de Marie de Louis et a été
batisé le 22e à la présentation de Bernard Aliot
demeurant à Arros et de Marie Puyo qui ont
signé avec nous Dupoux curé de Naï"
Les récalcitrants auraient-ils fini par entendre
raison ? Le 6 octobre 1738, après avoir "donné des témoignages sincères de leur véritable retour dans le
giron de l'église", ils reçoivent enfin la bénédiction nuptiale !
Ce qui nous permet d'en apprendre davantage. Pierre Puyoo,
fils de Jean Puyoo et de Catherine Bernis, est un marchand âgé de trente-quatre
ans, capable de signer d'une main ferme l'acte de mariage. Son épouse, qui a le
même âge à peu de choses près, est la fille d'un maître teinturier de
Pontacq ; elle appose sa signature sans trembler sur le registre, à côté
de celle de son conjoint.
AD 64 Nay 1733-1742 vue 90/219 |
Le prénom de sa mère, Judith, m'a soudain mis la puce à
l'oreille. Ces consonances bibliques ne seraient-elles pas la marque de la
religion protestante ? Nous sommes en Béarn, à quelques lieues au sud-est
de Pau. Jeanne d'Albret, mère du futur Henri IV, s'était en son temps convertie
au calvinisme. Le Dictionnaire de l'Ancien Régime nous indique que la Réforme
fut favorablement accueillie par une partie de la population, notamment au sein
de la noblesse et de la bourgeoisie des cités.
Or les protestants considéraient le mariage comme un contrat
et non comme un sacrement, ce qui expliquerait la démarche de Pierre Puyoo et
de Marie de Louis, qui firent preuve d'une belle indépendance d'esprit. Ils ont
néanmoins fini par céder à la pression sociale et sont rentrés "dans le giron de l'église", comme
le dit si bien le curé de la paroisse de Nay.
Deux ans plus tard, le 20 août 1740, naît une petite
Marie, la première du couple à être considérée comme légitime. Je plains
néanmoins les généalogistes qui tenteront de reconstituer toute la fratrie…
Sources
Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, Nay,
registre des BMS 1733-1742, vues 21/219, 25/219, 40/219, 83/219, 90/219 et
141/219.
(1) Prononcer "Naille", comme dans tenailles. La cité, située en bordure
du gave de Pau, a une longue tradition d'activité textile (toile de lin et drap
de laine).
(2) Sous l'Ancien Régime, les jurats représentent le pouvoir exécutif permanent
d'une municipalité.
Un récit passionnant et bien mené. Bien documenté aussi. Tu nous fais revivre cette époque comme un roman historique... Mais ont-ils un lien avec ta famille ?
RépondreSupprimerPour l'instant, je n'ai pas trouvé de lien de parenté avec mon ancêtre Gabriel Puyoo, né à Nay en 1691. Je suis simplement sûre que Pierre et Gabriel ne sont pas frères, mais peut-être sont-ils cousins ?
SupprimerLa vie n'a pas dû être facile pour ce couple.On peut supposer un mariage d'amour pour oser braver l'opprobe de la paroisse. L'hypothèse de religion protestante semble judicieuse. Comment la confirmer ?
RépondreSupprimerJ'ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce billet.
RépondreSupprimerSans doute,connaissez-vous les relevés du Centre d’Étude du Protestantisme Béarnais (fichiers pdf)
http://www.cepb.eu/Histoire/Fichiers/CEPBGenealogie.html
Bonnes recherches !
Non, je n'avais pas encore eu l'occasion de les consulter. Je vous remercie du tuyau, je vais regarder cela de plus près.
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