lundi 2 mars 2015

Tremblement de terre à Saint-Just-des-Verchers

Je savais qu'en dépit de l'ordonnance de Villers-Cotterêts d'août 1539, certains ecclésiastiques s'étaient fait tirer l'oreille avant de tenir les registres paroissiaux en français. Certains même n'hésitaient pas, des décennies plus tard, à émailler leurs actes de locutions latines, sans doute pour impressionner leurs ouailles. Mais une "mention insolite" entièrement rédigée en latin au XVIIIe siècle ?

Jugez-en plutôt.

Nous sommes à Saint-Just-des-Verchers, à une lieue environ au sud de Doué-la-Fontaine, dans l'actuel département du Maine-et-Loire, et voici ce que je découvre au détour d'une page :

AD Maine-et-Loire, St. Just-des-Verchers, 1667-1742 vue 230/394

Certes, j'ai passé douze ans dans une école confessionnelle, dont sept à m'user les yeux sur des versions latines, mais le gros dictionnaire Gaffiot ne figure plus sur les étagères de ma bibliothèque depuis belle lurette. Il m'a donc fallu ruser. Heureusement, nous vivons une époque formidable, et Internet recèle des ressources insoupçonnées.

Voici tout d'abord le texte rédigé par Jacques Moreau, curé de Saint-Just-des-Verchers :

"Sexta octobris die martis anni millesimi septingentesimi decimi
primi hora octava circiter post meridiem terra bis tremuit ita violenter
ut laquearia, verum etiam domorum fundamenta commota fuerint
per totam noctem identidem in oriento sonitus subterraneos
audivimus : Dominus ab excidio nos custodiat, ejus iram peccata
provocant, poenitentia indulgentiam mercatur. Per Christum Dominum
nostrum. Amen. In cujus rei fidem hoc manu mea scripsi et subscripsi
J Moreau pastor Sti Justi de Verchi
"

Ce qui donne à peu près ceci dans la langue de Molière :

"Le mardi 6 octobre de l'année 1711, sur les huit heures du soir, la terre trembla par deux fois si violemment que les plafonds et même les fondations des maisons furent déplacées. Durant toute la nuit à plusieurs reprises à l'est on entendit un grondement souterrain. Que le Seigneur nous garde de l'extermination, les péchés appellent sa colère, la pénitence rachète l'indulgence. Par le Christ notre Seigneur, amen. En foi de quoi, j'ai écrit et signé de ma main,
J. Moreau, curé de Saint-Just-des-Verchers"

Toujours grâce à Internet, j'ai appris qu'un tremblement de terre avait effectivement eu lieu le 6 octobre 1711 dans la région. L'épicentre se trouvait du côté de la ville de Loudun, à une quarantaine de kilomètres environ à l'est de Saint-Just-des-Verchers, dans l'actuel département de la Vienne. Son intensité, à ne pas confondre avec sa magnitude, fut de l'ordre de 7 à 8 degrés. En d'autres termes, le séisme entraîna des dommages sensibles aux habitations, vraisemblablement accompagnés de scènes de frayeur ou de panique.

Le curé de Saint-Just, y voyant une expression de la colère divine, en a manifestement profité pour inciter ses paroissiens à faire acte de contrition.

Cherchez bien, vous trouverez peut-être des récits de la même teneur dans cette zone située à la croisée de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou…

Sources

AD Maine-et-Loire, St. Just-des-Verchers, collection communale 1667-1742, vue 230/394

Dictionnaire historique de Maine-et-Loire de Célestin Port, édition originale en ligne sur le site des AD Maine-et-Loire, article sur les Verchers

Wikipédia, Liste des séismes en France, y compris notes et références sur les caractéristiques du séisme de Loudun du 6 octobre 1711 et les tremblements de terre entre Angers, Tours et Poitiers


Wikipédia, Échelle Medvedev-Sponheuer-Karnik ou échelle MSK

4 commentaires:

  1. Félicitations ! Merci pour cette leçon de latin, d'histoire et sismologie..

    RépondreSupprimer
  2. Très intéressant, et belle démonstration !
    Dans l'Aisne, au 18e à Camelin, au détour d'une page,
    j'ai trouvé une annotation sur la durée d'un séisme
    il faudra que je recherche l'année.

    Nésida


    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. ce n'est pas le même séisme, car c'était le 17 février 1759, 5mn 30
      Nésida

      Supprimer
  3. Eh bien, je note la date, on ne sait jamais... car je fréquente pas mal les registres du Maine-et-Loire...
    Merci beaucoup pour ce partage !

    RépondreSupprimer

Votre commentaire sera publié après approbation.