Quoi de mieux pour commencer l'année qu'une mention insolite
dans les registres paroissiaux ?
Le document
Je vous propose aujourd'hui un texte figurant dans les
registres de Salbris (Loir-et-Cher), intercalé entre les actes de l'année 1791
et ceux de l'année 1792.
AD Loir-et-Cher, Salbris 5MI 232/R6 vue 194/523 |
Pierre Bezard, curé de la paroisse, qui par ailleurs ne
semble guère impressionné par les événements qui secouent alors le royaume,
profite de l'opportunité qui lui est offerte pour embellir son église.
"Dans le courant du mois de décembre de la
présente année
sur la représentation que j'ai faite dans une assemblée de la paroisse
pour ce convoquée, que d'après la destruction de plusieurs églises dans
les villes, il se présentoit l'occasion la plus favorable pour acheter
à bas prix différents meubles ou décorations pour notre église, j'ai
été chargé d'achetter ce que je trouverois convenable ou nécessaire
pour notre église et j'ai acheté effectivement le maître Autel
tel qu'il est qui alors estoit dans l'église des Carmes à Bourges et m'a coûté
quatre louis, l'Autel de la Vierge 12# l'Autel de St. Jean 12…
l'autel placé dans la chapelle où est mon confessionnal 6#…
trois petits tombeaux estoient aussi aux Carmes, les fonts baptismaux
avec leur grille en fer le tout 50# ils etoient à St. Ambroix, le
bénitier en pierre près la g(ran)de porte venant du Fourchault et m'a
coûté huit livres, les chandeliers argentés des enfants de chœur venant
de St. Outrillet et ont coûté 12# trois chappes blanches avec
le grand Christ qui est sur le tabernacle 72# et aux dépens de la
confrérie de la Vierge une garniture de chandeliers argentés avec le
Christ 114# et j'ai dit la messe au maître Autel pour la
première fois après son remplacement à minuit la veille de Noël.
j'ai aussi acheté la Vierge de pitié qui est actuellement dans le
? du maître autel et m'a coûté un louis. Elle estoit aux
Bénédictins à Bourges. celui qui a étrenné les fonts baptismaux
est Jean Poigny fils de Martin Poigny meunier à Belleville et
de Magdeleine Desbordes baptisé le cinq
janvier de l'année 1792.
sur la représentation que j'ai faite dans une assemblée de la paroisse
pour ce convoquée, que d'après la destruction de plusieurs églises dans
les villes, il se présentoit l'occasion la plus favorable pour acheter
à bas prix différents meubles ou décorations pour notre église, j'ai
été chargé d'achetter ce que je trouverois convenable ou nécessaire
pour notre église et j'ai acheté effectivement le maître Autel
tel qu'il est qui alors estoit dans l'église des Carmes à Bourges et m'a coûté
quatre louis, l'Autel de la Vierge 12# l'Autel de St. Jean 12…
l'autel placé dans la chapelle où est mon confessionnal 6#…
trois petits tombeaux estoient aussi aux Carmes, les fonts baptismaux
avec leur grille en fer le tout 50# ils etoient à St. Ambroix, le
bénitier en pierre près la g(ran)de porte venant du Fourchault et m'a
coûté huit livres, les chandeliers argentés des enfants de chœur venant
de St. Outrillet et ont coûté 12# trois chappes blanches avec
le grand Christ qui est sur le tabernacle 72# et aux dépens de la
confrérie de la Vierge une garniture de chandeliers argentés avec le
Christ 114# et j'ai dit la messe au maître Autel pour la
première fois après son remplacement à minuit la veille de Noël.
j'ai aussi acheté la Vierge de pitié qui est actuellement dans le
? du maître autel et m'a coûté un louis. Elle estoit aux
Bénédictins à Bourges. celui qui a étrenné les fonts baptismaux
est Jean Poigny fils de Martin Poigny meunier à Belleville et
de Magdeleine Desbordes baptisé le cinq
janvier de l'année 1792.
P. Bezard, curé"
La curiosité étant la vertu cardinale des généalogistes,
j'ai voulu en savoir davantage.
Les recherches
Un petit tour sur Wikipédia
m'a tout d'abord confirmé deux des acquisitions du curé pour l'église
Saint-Georges de Salbris, le maître-autel de pierre et la Pietà. Rien de plus.
Une recherche sur GenCom.org,
ensuite, m'a permis de déchiffrer les noms propres de façon certaine : il
y a bien à Bourges une église des Carmes, qui date du XVIe siècle,
mais aussi une ancienne abbaye Saint-Ambroix et une ancienne église
Saint-Aoustrillet.
"Fourchault"
m'a donné plus de fil à retordre, mais en me connectant sur le site des Archives départementales du Cher, j'y
ai découvert un inventaire des registres paroissiaux effectué par le citoyen
Gabriel Dubreuil et ses deux assistants (en vertu, explique-t-il, de la loi du
20 septembre 1792 "vieux style"). Le document d'une dizaine de
pages énumère les liasses conservées dans la maison commune : le
Fourchaud, ainsi orthographié, faisait partie de la liste des paroisses de la
ville de Bourges au moment de la Révolution.
Passons à Gallica.
Une simple recherche sur le mot "Salbris"
me propose d'entrée de jeu un ouvrage intitulé Le curé de Salbris ou le Fénelon du village, rédigé par un certain
Emile Vanderburch, imprimé à Paris en 1838. Le document, qui comprend environ
150 pages en gros caractères et quelques illustrations, concerne précisément
Pierre Bezard, l'auteur des achats évoqués plus haut, et narre un certain
nombre d'anecdotes édifiantes à son sujet.
Source Gallica |
Après une longue dédicace, l'ouvrage commence par le récit
de l'enterrement du prêtre (que l'auteur situe en juillet 1828 au lieu de 1829,
je m'en apercevrai ensuite) et fournit diverses précisions. Pierre Bezard est
le fils d'un marchand drapier de Bourges, il est né en 1755, il a quatre sœurs
et a été ordonné prêtre alors qu'il avait vingt-cinq ans. D'abord vicaire à
Saint-Pierre-le-Guillard, à Bourges, il serait passé par Souesmes avant de prendre
en charge la paroisse de Salbris.
Un détour par Geneanet
dans l'espoir de gagner du temps : j'y trouve un Pierre Bezard, né le 1er
avril 1755 et baptisé à Saint-Pierre-le-Guillard, fils de Pierre Bezard
marchand toilier et de Marie Morin, flanqué de quatre sœurs. Il se serait marié
et aurait eu une fille, née à Bourges le 6 juillet 1792 et décédée cinq
jours après, sans plus de précision. Bizarre…
Il est grand temps de revenir aux sources, c'est-à-dire aux
documents établis à l'époque des faits, j'entends par là les registres paroissiaux et les registres de l'état civil. J'ai
donc récupéré l'acte de baptême de Pierre Bezard, daté du 2 avril 1755,
signé par le curé de Saint-Pierre-le-Guillard à Bourges, et son acte de décès,
rédigé le 21 juillet 1829 par le maire de Salbris. Rien n'indique qu'il
aurait abandonné son sacerdoce à la faveur de la Révolution : il était
toujours curé lors de son décès, sous le règne du très réactionnaire
Charles X.
J'en ai profité pour feuilleter les registres de ce bourg de
Sologne où vécurent certains de mes ancêtres : Pierre Bezard y apparaît
pour la première fois le 22 décembre 1785 avec le titre de desservant,
avant de signer régulièrement les actes en tant que curé, à partir du
10 janvier 1786. Il a ainsi baptisé, marié ou inhumé un certain nombre de
Laubret et de Bernard qui figurent dans ma généalogie.
Les registres paroissiaux sont en ligne jusqu'à la fin de
l'année 1792, relayés ensuite par les registres de l'état civil. Le curé de
Salbris réapparaît brièvement dans ces derniers avec le titre d'officier public,
de juillet 1793 à mars 1794, avant de laisser la place à d'autres scripteurs.
Je note au passage que sa mère, Marie Morin, avait sans
doute rejoint la paroisse de son fils lorsqu'elle s'était retrouvée veuve, car
elle est inhumée dans le cimetière de Salbris le 3 décembre 1792. L'acte
de sépulture est signé par les curés de deux villages voisins, Souesmes et
Theillay, en présence de Pierre Bezard et de ses sœurs Magdeleine et
Marguerite. L'ouvrage trouvé sur Gallica indiquait qu'elles avaient suivi leur
frère et vivaient avec lui au presbytère.
Les enseignements à en tirer
Avec un peu de chance, il est relativement facile de
collecter toutes sortes de détails qui viennent enrichir nos connaissances sur
la vie de nos ancêtres. Il est néanmoins indispensable de recouper les
différentes sources, car une erreur a tôt fait de se glisser dans les éléments à
notre disposition.
J'avouerai d'ailleurs que j'en ai profité pour corriger le
patronyme de celui que je persistais à appeler Begard dans ma base de données,
étant peu douée pour déchiffrer les signatures, civiles ou ecclésiastiques !
Belle enquête, très exhaustive !
RépondreSupprimerJe reprends la lecture de ton blog après une interruption pendant mon séjour au Japon - très occupé ! Cette recherche est intéressante et menée avec rigueur. En effet, il ne faut pas se contenter d'une source par facilité. Merci pour ce bel exemple !
RépondreSupprimerpeut-être une info qui t'intéressera : s'il n'y a pas d'église des Carmes à Bourges, il y en avait une à Saint-Amand-Montrond, dans le même département du Cher. Elle a été désaffectée en mars 1791....
RépondreSupprimerPourtant j'avais bien trouvé une église des Carmes à Bourges, sur le site GenCom.org. Peut-être ne la connais-tu pas ou a-t-elle été désaffectées depuis lors ?
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