Continuons avec les photos anciennes. Je sors aujourd'hui de
la boîte aux trésors ce cliché peu banal qui m'intriguait depuis fort longtemps
et dont je pense avoir enfin percé le mystère.
Collection personnelle |
Les faits
Il s'agit d'une photo sur support cartonné aux coins
arrondis, collée sur un carton ivoire d'une épaisseur d'un millimètre. Les
dimensions de l'ensemble, 108 mm sur 164 mm, correspondent au format
"Cabinet Card".
Le cliché proprement dit, de couleur sépia, fait 99 mm
sur 134 mm.
Au recto du support cartonné figurent en bas à gauche le nom
du photographe, Gustave, et en bas à droite la ville où est installé son
studio, c'est-à-dire Pau.
Au verso, où subsiste une trace du papier cristal qui devait
protéger le cliché, un texte illustré, en rose sur fond ivoire, d'une police de
caractères relativement sobre, permet d'en apprendre un peu plus sur le
photographe, "Gustave de Paris", chevalier de l'Ordre du Nichan
Iftikhar(1)
et membre de l'Académie franco-hispano-portugaise (!), installé 25, rue Serviez
à Pau, "au coin des 7 cantons", avec des succursales à
Bagnères-de-Bigorre et Orthez !
Verso de la photographie ci-dessus |
Les indices
À gauche, une fillette aux yeux étonnamment clairs, qui
porte de minuscules boucles d'oreille en forme de boules, la main gauche refermée
sur le manche d'une ombrelle. Elle est vêtue d'une robe sombre, avec des
parements et un grand col de dentelle blanche.
À droite, un garçonnet aux yeux clairs et au teint diaphane,
tenant une fine canne dans la main gauche, légèrement plus âgé que la fillette,
semble-t-il.
Au centre, assis sur une chauffeuse capitonnée, un enfant
plus jeune, presque un bébé encore, avec de bonnes joues ; garçon ou
fille, difficile de le dire : il porte une robe qui ressemble à celle de
la fillette, même forme, même couleur et mêmes dentelles, mais je note
l'absence de boucles d'oreilles. Il a les yeux nettement plus foncés que les
deux autres enfants.
Le costume du garçonnet debout à droite de la photo fait
furieusement penser à la tenue arborée par Marcel Proust et son frère Robert
sur une photo prise en 1877, notamment les basques découpées en forme d'écusson
au bas de la veste. Laissons le temps à la mode de parvenir jusqu'à Pau :
je daterais donc la photo des années 1880.
Marcel Proust et son jeune frère Robert Source Wikimedias commons |
Les hypothèses
Dans un premier temps, j'avais pensé à des neveux de mon
arrière-grand-mère Eugénie Caperet, les trois frères Cazes. Mais à y regarder
de plus près, je faisais certainement fausse route.
Tout d'abord, l'âge des enfants : Henri est né en 1869,
son frère Gaston en 1873 et Raphaël en 1879, soit dix ans d'écart entre le plus
jeune et le plus âgé, quatre ans entre les deux premiers, ce qui ne concorde
pas avec la photo que nous analysons.
La présence d'une fillette, ensuite : d'abord trompée
par le fait qu'à la fin du XIXe siècle, les jeunes enfants portaient tous des
robes, quel que soit leur sexe, je n'avais pas tenu compte de l'ombrelle, qui
est un accessoire typiquement féminin, contrairement à la canne, et je n'avais
pas davantage repéré les minuscules boucles d'oreilles. J'avais peut-être aussi
été trompée par la coupe de cheveux si semblable des trois bambins.
On pourrait par ailleurs se demander pourquoi cette photo
était parvenue jusqu'à ma mère, alors qu'elle aurait dû plutôt intéresser mes
cousines paloises, qui en ignoraient manifestement l'existence.
J'ai donc repris mon arbre généalogique, dans l'espoir d'y
trouver d'autres candidats et je pense avoir trouvé la réponse : il
pourrait fort bien s'agir de ma grand-mère Julia, de son frère aîné Paul et du
premier de ses plus jeunes frères, Joseph. Tous trois enfants de Théodore
Fourcade et d'Eugénie Caperet, qui demeuraient à Pau, d'abord rue de la
Préfecture où sont nés les aînés, puis ensuite rue des Arts où sont nés les
suivants, sauf le dernier.
Lorsque je compare cette photo avec d'autres clichés de
Julia enfant, je retrouve la même forme de visage, les mêmes yeux si clairs et
jusqu'aux boucles d'oreilles identiques. C'est une forte présomption du
bien-fondé de mon hypothèse.
Julia Fourcade enfant Collection personnelle |
Julia Fourcade en communiante Collection personnelle |
Les âges semblent également correspondre : Paul est né en
avril 1881, Julia en mai 1882 (elle a donc seulement treize mois d'écart avec son
frère) et Joseph est arrivé en janvier 1884, vingt mois plus tard.
Maintenant, tentons de dater la photo avec plus de
précision. Jeanne, née en décembre 1879 et décédée en septembre 1885 alors
qu'elle avait cinq ans, est absente : le cliché est donc vraisemblablement
postérieur. Paul est décédé en mars 1892, un mois avant son onzième
anniversaire. Les trois derniers, Jean, Théodore et Henri, ont vu le jour
respectivement en 1889, 1894 et 1899. Le cliché est sans doute antérieur à la
naissance de Jean, en octobre 1889, qui ne figure pas sur la photo.
Je pense que la séance de pose dans le studio du photographe
a donc eu lieu en 1886 ou 1887, alors que Julia avait cinq ou six ans, son
frère aîné Paul six ou sept ans et Joseph, assis sur la chauffeuse, deux ou
trois ans.
Et je m'aperçois soudain que c'est, à n'en point douter, la
seule photo que je détiens de Paul, cet enfant au regard un peu triste, parti
trop tôt comme la petite Jeanne avant lui. Précieuse image !
(1) Ancien ordre honorifique tunisien, attribué par le bey de Tunis sur proposition
du grand vizir pour les sujets tunisiens et sur proposition du résident général
de France en Tunisie dans les autres cas (source Wikipédia).
Beaucoup de patience et de perspicacité (jusqu'aux minuscules boucles d'oreilles) pour retrouver les noms de ces enfants sur une photo non annotée. Bravo !
RépondreSupprimerCapitales, les boucles d'oreilles : c'est comme cela que j'ai réalisé qu'il y avait au moins une petite fille sur la photo !
SupprimerForte capacité de décryptage débouchant sur des visages
RépondreSupprimerdésormais nommés !
Bravo
Nésida
J'ai eu la chance de tomber par hasard dans un livre sur la photo de Marcel Proust et de son frère, ce qui m'a donné approximativement une date, grâce à la similitude des costumes.
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerPour moi, c'est plutôt Jeanne, Paul et Julia sur le pouf. Le petit enfant assis est plutôt une fille vu qu'il est habillé comme sa soeur aînée. Les garçons avaient des robes mais identifiables comme masculin. Cordialement. Monique MAINGUY
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
SupprimerMe voilà saisie d'un doute, tout à coup !
Supprimer