Pour inaugurer le généathème du mois, je vous propose ce
beau portrait de ma mère, datant vraisemblablement des années 1940, si j'en
juge par la coiffure.
Archives personnelles |
Mon père assista, impuissant, à la débâcle de juin 1940 et
fut démobilisé le 27 juillet suivant. De retour à la vie civile, il remonta sur
Paris avec son épouse. Le voyage en train, en cette période ô combien troublée
dura, je crois, plus de vingt-huit heures !
Les jeunes mariés s'installèrent tout d'abord dans une
garçonnière que mon père louait au numéro 148 du boulevard Berthier, dans le 17e
arrondissement. À l'automne 1941, ils emménagèrent dans un confortable
appartement de trois pièces, non loin du quai de Passy. Je suppose que mon père
avait repris son poste de secrétaire général aux Bijoux Fix. Ma mère,
infirmière de la Croix-Rouge, se rendait à la Fondation Paul Parquet. Mais la
vision quotidienne de nourrissons atteints de maladies chroniques, voire
incurables, était plus que déprimante pour une jeune femme qui s'apprêtait à
devenir mère de famille.
C'est sans doute pour cette raison qu'elle travailla ensuite
avec un certain Victor Linton, artiste d'origine britannique qui créait et
vendait des bijoux fantaisie. J'ai souvent entendu prononcer son nom à
l'anglaise ("Lintone") durant mon enfance, et j'ai encore en mémoire
le tableau signé de sa main qui ornait l'un des murs du salon : une vue de
la rue de Montpensier, avec l'enseigne du théâtre du Palais royal, à droite,
et, au fond, un escalier que gravit une mince silhouette, vêtue à la mode des
années quarante. Ma mère, peut-être ? Du moins, me le faisait-on croire.
J'ai effectué une recherche sur internet ces jours derniers
et j'ai découvert un encart publicitaire dans un numéro de L'Art et la Mode(2), daté d'octobre 1945 : Victor
Linton, colifichiste, 52, rue de Richelieu – Paris, "chez le bijoutier
chic de votre ville", "ne
vend pas à la clientèle particulière".
Il utilisait des matières inattendues comme le rhodoïd, qui plaisaient aux
couturiers de l'époque, Schiaparelli, Piguet ou Lanvin.
J'ai également appris qu'après la guerre, il découvrit
Tourrettes-sur-Loup, y acheta une maison qu'il restaura et fut à l'origine de
la fête des violettes, organisée chaque année par cette commune des
Alpes-maritimes ! Mais revenons au portrait de ma mère. Les volumineuses
boucles qui ornent ses oreilles sont certainement une création de Victor
Linton.
Le portrait est signé en bas à gauche "Piaz, Paris". Nouvelle recherche : le studio de Teddy
Piaz, 122, Champs-Élysées, comme il est indiqué au dos de l'épreuve, était
plutôt spécialisé dans les portraits de personnalités, comédiens, chanteurs,
acteurs de cinéma des années trente… Il est cité dans l'un des romans de
Patrick Modiano, Villa triste. Le
nom de Piaz est également associé à un certain nombre de 45 tours des
années 1950 et 1960, à une époque où il était de bon ton de faire figurer le
portrait de l'interprète sur la pochette de disque.
La photographie que nous avons sous les yeux me fait penser
au style de l'un de ses concurrents, le studio Harcourt, en moins sophistiqué.
Fond neutre vivement éclairé pour donner de la profondeur à l'ensemble,
éclairage latéral pour modeler le visage, faible profondeur de champ pour
masquer d'éventuelles imperfections de peau, mise au point sur les yeux,
reflets sur l'iris et la pupille pour donner plus de vie au regard… Un seul
regret : l'ombre du nez aurait pu être légèrement atténuée.
Il existe un autre portrait du même artiste, moins réussi à
mon goût, où ma mère arbore ses lunettes rondes de myope à monture d'écaille.
Comme tous les enfants nés après la guerre, j'ai souvent
entendu mes parents évoquer l'Occupation : les restrictions, les tickets
de rationnement, le troc, la saccharine, les topinambours et les rutabagas
cuits à l'eau, les coupures de courant, le couvre-feu, la Salamandre qui resta
branchée sur la cheminée du salon jusqu'à la fin des années 1950… tout un
vocabulaire qui aujourd'hui n'a plus cours et qui contribuait à dresser un
tableau très sombre de cette période. À juste titre.
Et pourtant, ce portrait vient y apporter une touche
lumineuse. L'espoir d'un monde meilleur, peut-être ?
(1) Voir Un mariage sous l'uniforme http://degresdeparente.blogspot.fr/2013/06/un-mariage-sous-luniforme.html
(2) Sur le site
des Éditions Jalou, L'Art et la Mode n°2706, octobre 1945, p.12
Très beau portrait, et merci pour l'histoire qui va avec.
RépondreSupprimerQuel bel hommage rendu à ta Maman ! Et son portrait est très beau !
RépondreSupprimerPourquoi critiques-tu le nez ? Nous descendons d'Henri IV, que diable !
RépondreSupprimerCe n'est pas le nez que je critique, cousin, mais l'ombre, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Quant à nos ancêtres communs, je te laisse la responsabilité de tes affirmations…
SupprimerCosette Harcourt a en effet travaillé au Studio Piaz avant d'ouvrir le Studio Harcourt avec les frères Jacques et Jean Lacroix en 1934.
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