Rassurez-vous, je ne suis pas là pour tenir un discours
politique ou faire la promotion d'une bande dessinée, mais pour vous parler de
Marie Augustine Chancé et de sa famille.
Pommiers normands |
Mes ancêtres normands ont attendu le milieu du XIXe
siècle pour quitter, certains d'entre eux au moins, leur village natal de
Notre-Dame-du-Touchet. Sur les sept enfants du couple formé par Louis Martin
Chancé et Anne Restaux en 1815, trois ont quitté le bocage pour s'installer
durablement à Paris. Franchissant ainsi d'une seule traite (façon de parler)
plus de trois cents kilomètres !
Pour quel(s) motif(s) ? dans quelles conditions ont-ils
effectué ce voyage ? pourquoi avoir choisi la capitale, et non pas une
ville plus proche ? leurs parents étaient-ils propriétaires des terres
qu'ils exploitaient ? fallait-il éviter de morceler l'héritage ?
Autant de questions à ce jour sans réponse, autant de pistes à explorer.
Mais revenons à nos trois frères devenus parisiens, Louis,
François et Frédéric. Ils ont tous trois bénéficié d'une kyrielle de prénoms lors de leur baptême, selon une mode bien établie au XIXe siècle, mais je choisis le seul qu'ils utilisent lorsqu'ils signent, pour ne
pas vous embrouiller l'esprit.
François, né en 1826, et Frédéric, né en 1834, ont tous deux
exercé le métier de peintre en bâtiments ; c'est ainsi qu'ils sont
qualifiés dans tous les actes qui les concernent, jusqu'à leur décès. Ils se
sont mariés, plusieurs fois l'un et l'autre, et ils ont eu des enfants qui, à
leur tour, se sont mariés et ont exercé une profession à Paris (peintre,
serrurier, doreur sur bois…). Je note au passage qu'ils ont déménagé à
plusieurs reprises, rive droite, rive gauche, et même à Montmartre avant que
cette commune soit rattachée à la capitale.
Mes racines parisiennes remontent donc au XIXe
siècle, ce qui n'est pas si fréquent pour les Parisiens d'aujourd'hui. Mais
foin des digressions ! François est décédé en 1900, à soixante-treize ans,
à l'hôpital Bicêtre, et son cadet Frédéric est décédé en 1910, à soixante-seize
ans, à l'hôpital Bichat (le fameux "Bastion 39" que j'évoquais
dans un précédent billet)(1).
L'existence de Louis, leur aîné, est plus brève. En 1848, il
a vingt-huit ans et il habite avec son frère François au n°4 de la rue de la
Coutellerie, lorsque ce dernier se marie en l'église Saint-Merri. C'est
néanmoins à Notre-Dame-du-Touchet que Louis épouse Rosalie Gilette Mabire
l'année suivante : la cérémonie civile a lieu le 21 mars 1849 et la
cérémonie religieuse dix mois plus tard, le 22 janvier 1850. Pourquoi ce
laps de temps entre les deux ? Encore une question sans réponse.
Curieusement, Louis est qualifié de cultivateur ou de
laboureur dans les deux actes, alors qu'il est déjà parisien. Pas de mention
particulière pour les bans civils, apparemment publiés uniquement à
Notre-Dame-du-Touchet. Les bans religieux ont été, quant à eux, également
publiés à l'église Saint-Merri à Paris.
Le couple s'installe manifestement dans la capitale, où
Louis exerce la profession de broyeur de couleurs(2).
Vraisemblablement pour le compte de ses deux frères peintres.
Louis et Rosalie ont-ils eu des enfants ? Vous
n'ignorez pas que les archives de l'état civil de Paris antérieures à 1860 ont
été détruites lors des incendies de la Commune, qui ont ravagé l'Hôtel de Ville
et le Palais de Justice où elles étaient entreposées. Ce qui complique quelque
peu les recherches ! Elles ont été partiellement reconstituées, notamment
à partir des documents apportés par les particuliers, lorsque ceux-ci avaient
besoin d'une pièce officielle, mais sont très loin d'être complètes. J'y ai
vainement cherché la naissance d'un ou de plusieurs enfants du couple formé par
Louis Chancé et Rosalie Mabire…
Mais j'y ai trouvé mention du décès de Louis, en 1857. Une
visite aux Archives de Paris, boulevard Sérurier, m'a permis de récupérer une
copie du document utilisé par la Commission de reconstitution : Louis
Chancé est décédé le 17 mai 1857 à dix heures du matin, en son domicile
alors situé au n°19 de la rue des Amandiers Saint-Jacques (dans l'ancien 12e
arrondissement devenu aujourd'hui le 5e), sur la rive gauche de la
Seine. Un médecin constate le décès. Louis n'avait alors que trente-sept ans.
Il était pourtant bien père : une petite Marie
Augustine était née six ans auparavant, en janvier 1851. Je l'ai retrouvée dans
les tables décennales de Notre-Dame-du-Touchet, à l'occasion de son mariage
avec Victor Louis Restoux, un cultivateur de trente-trois ans. La mort
prématurée de Louis avait-elle incité ou contraint Rosalie et sa fille à
retourner au pays ?
Le mariage a lieu le 11 novembre 1869. La jeune fille,
qui a maintenant dix-huit ans, est accompagnée de sa mère (qui réside à nouveau
dans le village où elle est née). Marie Augustine s'installe à Virey, au
lieu-dit de la Coignière, d'où son mari est originaire. Le bourg est situé à
une quinzaine de kilomètres à l'ouest de Notre-Dame-du-Touchet. Quatre enfants
vont naître de cette union : une fille en 1870, puis trois garçons,
respectivement en 1872, 1874 et 1878. Marie Augustine est désormais qualifiée
de cultivatrice dans tous les actes officiels.
Las, le 22 décembre 1883, l'instituteur et son adjoint
se présentent à la mairie de Virey pour y déclarer le décès de Victor Louis
Restoux. Voilà Marie Augustine veuve à trente-deux ans, avec quatre
enfants ! Mais l'histoire ne s'arrête pas là.
En juin 1890, Marie Augustine, qui a trente-neuf ans mais
n'en avoue que trente-six, fait publier les bans de son prochain mariage avec
François Gillet. Ce dernier, journalier, a tout juste vingt-trois ans.
Travaille-t-il sur les terres cultivées par sa future épouse ? Toujours
est-il qu'à peine deux mois plus tard naît à la Coignière le petit François
Victor Marie Gillet. Il est reconnu par son père dans l'acte de naissance, mais
nulle trace de mariage dans les registres…
Les archives de la Manche sont actuellement numérisées
jusqu'à l'année 1892 incluse. Il me faudra donc patienter pour connaître la
suite. Mais j'ai d'ores et déjà découvert parmi mes ancêtres un cas peu banal
de retour à la terre, à une époque où les migrations se faisaient plutôt des
campagnes vers les villes ! Marie Augustine, en avance sur son
époque ?
(1) Voir
"Une histoire de bastion" en juin 2013
(2) Voir "B
comme broyeur de couleurs" en avril 2013
Une couguar ? on en trouve de drôles de choses en faisant de la généalogie
RépondreSupprimerEt quand tu les racontes, ces vies deviennent présentes, mon plaisir du matin.
Juste pour t'embeter, il y a une petite coquille au debut du 3ème paragraphe :p
Oups ! Ce n'est pourtant pas faute de relire, mais j'ai dû faire une fausse manoeuvre… voilà, j'espère que c'est corrigé !
RépondreSupprimerTrès bon article. Bien écrit et documenté, il est en plus vraiment intéressant!
RépondreSupprimerMerci de nous avoir proposer cette lecture :)
Thomas
Tu as suivi la piste de tes ancêtres à la trace, comme un bon chien de chasse... Et avec patience, tu arrives à reconstituer un bon morceau de leur existence. Bravo !
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