Je relisais l'article que Wikipédia consacre à
Concourson-sur-Layon, quand deux chiffres et deux dates ont attiré mon regard
dans un tableau sur l'évolution de la population :
- 1793 685,
- 1800 338.
Comment ce village avait-il pu perdre 50 % de ses
habitants en l'espace de sept ans à peine ?
Je note au passage que le Dictionnaire historique de
Célestin Port, auquel je me réfère si souvent, reste étrangement muet sur la
question, passant directement de l'année 1790 (688 habitants) à l'année
1831 (721 habitants). Aussi bien dans l'édition originale que dans
l'édition révisée. Ce qui modifie sensiblement la perspective, vous en
conviendrez…
Un rapide coup d'œil aux communes voisines confirme le
phénomène : Doué-la-Fontaine, Saint-Georges-sur-Layon, les Verchers,
Nueil, Vihiers, Montilliers, Coron, Vezins, Chemillé… toutes ont connu une
baisse sensible de leur population entre 1793 et 1800.
Et toutes sont également situées dans ce qu'on a appelé la
"Vendée militaire" : cette zone, qui déborde largement les
limites départementales de la Vendée proprement dite, fut le théâtre
d'affrontements sanglants entre Républicains et partisans de l'Ancien Régime.
L'affaire avait commencé en février ou mars 1793, lorsque la Convention vota la
levée en masse de 300 000 hommes et ne prit fin, après moult
épisodes, qu'en janvier 1800.
La Vendée militaire, source Wikipédia |
Les registres paroissiaux et d'état civil de Concourson
seraient-ils plus bavards sur ce sujet ? Je décidai d'y jeter un œil.
Je note tout d'abord les rédacteurs successifs : le
vicaire Blanvillain, qui n'apparaît plus après la fin janvier 1792, le curé
Boussinot, qui signe un dernier acte le 31 mai de la même année,
temporairement remplacé par le curé de la paroisse de Saint-Pierre des Verchers,
enfin l'apparition d'un certain Claude Petit, "desservant" à partir du 9 juillet.
Le registre paroissial s'achève sur ce dernier acte :
"le trois de
décembre mil sept cent quatre vingt douze l'an premier de
la République et en attendant qu'on m'ait enlevé les Registres j'ai deservant
soussigné inhumé dans le cimetière de ce lieu Jeanne Rouleau décédée d'hier
agée d'environ cinq ans fille du citoien René Rouleau marchand meunier et
de Jacquine Renard son épouse la sépulture faite en présence du père qui
a signé avec nous."
la République et en attendant qu'on m'ait enlevé les Registres j'ai deservant
soussigné inhumé dans le cimetière de ce lieu Jeanne Rouleau décédée d'hier
agée d'environ cinq ans fille du citoien René Rouleau marchand meunier et
de Jacquine Renard son épouse la sépulture faite en présence du père qui
a signé avec nous."
Il est suivi du texte suivant :
"Le vingt quatre
décembre 1792
nous Maire et officier municipal de la commune de Concourson
Reconaison que le citoyen curé nous a remis tous les
Registre."
nous Maire et officier municipal de la commune de Concourson
Reconaison que le citoyen curé nous a remis tous les
Registre."
Cet homme à l'orthographe approximative s'appelle Moreau. Il
est accompagné de trois autres officiers municipaux qui signent d'une main peu
assurée.
J'ai ensuite la surprise de retrouver Claude Petit dans les
registres d'état civil dès le 6 janvier 1793 : il y indique qu'il est
"membre du conseil général de la commune de Concourçon" et signe "Claude Petit curé et
officier public". En voilà un qui
était ouvert aux idées nouvelles ! Il laissera la place à un certain
François Salmon, "officier public provisoire", en février 1794, avant de réapparaître en
mars 1798 et de s'effacer définitivement devant Nicolas Grignon, "agent
municipal", en 1799.
Si les rédacteurs se sont succédé à une cadence accélérée
durant cette époque troublée, au moins la continuité des actes a-t-elle été
assurée. Voyons maintenant leur nombre et pour cela rien de tel qu'un tableau,
qui couvre la période allant de janvier 1790 à septembre 1802 (fructidor
an X) :
À première vue donc, rien qui permette de mesurer le
dépeuplement de la commune. Les chiffres de l'an II (et, dans une moindre
mesure, ceux de l'année suivante) attirent néanmoins l'attention. Pas moins de
90 actes de décès pour l'an II, c'est-à-dire pour la période qui va
de septembre 1793 à septembre 1794 !
Le plus souvent, l'officier d'état civil note simplement
"mort en son domicile", ce qui
ne nous en dit guère sur les causes du décès.
Je note toutefois un commandant du 4e bataillon
de la Charente "tué à l'affaire de Trémont" en juin 1793, quatre hommes "tués par accident
dans les mines" en janvier 1794, deux
soldats morts dans le camp situé sur la commune… et surtout un nombre important
de décès de personnes manifestement étrangères à Concourson, à en juger par les
lieux d'origine des déclarants, parfois qualifiés de "réfugiés". La guerre de Vendée a certainement entraîné
d'importants déplacements de population.
Mais aucune trace de l'un des épisodes les plus meurtriers
de cette guerre, sobrement résumé comme suit(1) :
"Le général Turreau, le 19 janvier 1794, met en marche les
colonnes infernales qui, commandées par Duval, Grignon, Bart et Couzay,
traversent toute la Vendée en passant, d'une part, par Brissac, Concourson,
Vihiers et Parthenay, d'autre part, à Beaupréau, Chemillé et Cholet, faisant le
désert sous leur pas, par le fer et par le feu."
Le général en chef, pressé d'en finir avec l'insurrection,
avait donné à ses troupes un ordre parfaitement clair(2) :
"On emploiera tous les moyens de découvrir les rebelles ; tous
seront passés au fil de la baïonnette ; les villages, métairies, bois,
landes, genêts, et généralement tout ce qui peut être brûlé, seront livrés aux
flammes."
Ces morts anonymes ne figurent évidemment pas dans les
registres d'état civil, mais leur absence hante jusqu'à aujourd'hui les
statistiques démographiques.
(1) Notice
historique de l'Anjou, par Landais, inspecteur primaire, officier d'Académie,
Guérin, Paris, 1890 (Gallica)
(2) Guerres des
Vendéens et des Chouans contre la République française, ou annales des
départements de l'ouest pendant ces guerres, par un officier supérieur des
armées de la République habitant dans la Vendée avant les troubles, tome 3,
Baudouin frères, Paris, 1825 (Gallica)
Merci Dominique pour ces enquêtes sur Concourson. C'est passionnant.
RépondreSupprimerC'est grâce à vous (et au thème suggéré pour ces deux mois d'été) que j'ai tenté d'en savoir plus sur l'un des villages de mes ancêtres. Merci pour ces encouragements.
SupprimerJe n'avais pas encore envisagé la recherche généalogique sous cet angle. Tu me donnes plein de bonnes idées avec ton blog passionnant. Mon problème, c'est de ne pas savoir quoi chercher. J'admire aussi tes sources (Gallica). Il faudrait que je me lance...
RépondreSupprimerJe n'avais jamais encore envisagé la recherche généalogique sous cet aspect. Ton blog me donne des idées. Il faudrait aussi que je me lance sur Gallica, qui m'impressionne...
RépondreSupprimerBravo pour cette enquête passionnante ! Je ne connais que mal cet épisode de la Révolution, n'ayant aucun ancêtre dans ces régions, mais je trouve cela très intéressant de pouvoir en apprendre plus.
RépondreSupprimerElise
Je suis allée dans cette région il y a quatre ans et j'ai été frappée de voir combien le souvenir de cette "guerre vendéenne" était encore présent, deux cents ans plus tard.
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