lundi 18 septembre 2017

Une paroisse sous la Révolution (1)

En ce 27 janvier 1790, les habitants de la communauté d'Aucun sont réunis pour élire leur maire, leurs officiers municipaux et désigner les notables qui, tous ensemble, formeront le premier conseil général de la commune.

Ils n'ont pas traîné, le décret qui vient d'instaurer les municipalités date du 12 novembre 1789.

Environs d'Aucun
Source Gallica, Extrait de la carte générale de la France n°108
établie sous la direction de C. F. Cassini de Thury

Jusque là, Aucun était gérée par quatre consuls. Mais la procédure ne doit guère surprendre les habitants de cette paroisse du val d'Azun : il y a une dizaine de mois déjà, ces mêmes consuls les avaient convoqués pour coucher sur le papier leurs doléances. C'était le 28 mars 1789 et ils avaient demandé au sieur Balencie, sans doute parce qu'il avait la plus belle écriture et qu'il savait le mieux traduire leurs volontés, de leur servir de secrétaire. C'est lui qui rédigea les quatre feuillets à transmettre aux députés de l'assemblée provinciale.

Le cahier de doléances

Un document en deux parties (selon un plan encore enseigné dans certaines grandes écoles, me semble-t-il) : tout d'abord les doléances, au nombre de quatre, puis les vœux, plus détaillés, avec onze occurrences soigneusement numérotées.

Le préambule indique les raisons de la convocation et contient la liste des participants : plus de soixante-dix chefs de famille ; la conclusion précise le nombre de copies et leur destination. Suivent les signatures, environ deux douzaines, nettement moins nombreuses donc que les participants. N'oublions pas que nous sommes dans une modeste paroisse de la montagne pyrénéenne, essentiellement rurale.

Le cahier de doléances est accessible en ligne sur le site des Archives départementales des Hautes-Pyrénées(1), si vous voulez en apprendre davantage sur cette communauté. Comme partout ailleurs dans le royaume de France, les habitants d'Aucun se plaignent du poids de la fiscalité, des lenteurs de la justice et des dépenses contraintes et ils réclament plus d'équité entre les différents ordres qui structurent la société sous l'Ancien Régime.

Je note au passage qu'Alexis Fourcade Ors, mon ancêtre à la septième génération, figure en tête de la liste des participants, juste après les consuls : est-il le plus riche, ou le plus influent, ou tout simplement le plus prompt à s'exprimer ? Celui qui parle le plus fort, peut-être ? Il a alors un peu plus de trente ans. Héritier de tous les biens de ses parents en tant que fils aîné, il a épousé une dizaine d'années auparavant l'héritière de la maison Ors. Le couple dispose donc de biens fonciers, ce qui confère une indubitable autorité au chef de famille.

Quelques lignes plus loin dans le cahier de doléances, je trouve un certain Alexandre Fourcade, dont j'ignore les liens éventuels avec mes ancêtres, puis Jacques Fourcade, vraisemblablement le père d'Alexis, sexagénaire.

Le Conseil général d'Aucun

Mais revenons à ce jour de janvier 1790 où s'est constituée l'administration de la commune. Le procès-verbal est rédigé par le même Balencie, qui fait ici office de greffier : il est doté d'une fine écriture, remarquablement lisible, et ne semble pas trop fâché avec l'orthographe, contrairement à certains de ses successeurs. Bref, un vrai bonheur.

La municipalité est élue par les citoyens actifs : autrement dit, les hommes de plus de vingt-cinq ans, habitant la commune depuis plus d'un an, payant un impôt direct au moins égal à trois journées de salaire d'un ouvrier et n'ayant connu ni banqueroute ni faillite(2). Comme l'année précédente, lors de la rédaction du cahier de doléances, ils sont environ soixante-dix à faire entendre leur voix.

Signatures au bas de l'acte de nomination de la municipalité d'Aucun
Source AD Hautes-Pyrénées, Registre des actes communaux 1683-1861 vue 55/292 

Ces citoyens actifs élisent un maire et cinq autres officiers municipaux, ce qui veut dire que la population de la commune est comprise entre 500 et 3 000 habitants(3). Les premiers élus s'appellent André Cazajoux (maire), Jean Vendome, Gabriel Lascomes, Pierre Ouzero Cazaux, Pierre Lahorgue et Jean Martinas Belem. Leur mandat est de deux ans, avec un renouvellement par moitié chaque année.

Le sieur Joseph Berot est pour sa part nommé procureur de la commune : chargé de défendre les intérêts de la communauté, il assistera aux réunions du conseil municipal sans pour autant pouvoir prendre part au vote des résolutions.

Enfin, douze notables (c'est l'appellation officielle) viennent compléter ce conseil général, au premier rang desquels figure Alexis Fourcade Ors !

La prestation de serment

Nous en sommes aux prémices de la Révolution. Une fois les résultats proclamés, les nouveaux élus prêtent serment devant la communauté "de maintenir de tous leurs pouvoirs la Constitution du Royaume, d'être fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi et de bien remplir leurs fonctions chacun pour ce qui le concerne".

Le texte variera au fil des ans, jusqu'à cette farouche formulation de 1797 : "Je prête le serment de haine à la Royauté et à l'anarchie, d'attachement et de fidélité à la République et à la Constitution de l'an III", mais nous n'en sommes pas encore là !

Les premières mesures

Il semble que les deux premières années, 1790 et 1791, se soient déroulées à Aucun sans trop d'incidents ni d'embûches, du moins si je me fie aux actes inscrits dans le registre communal. Ces actes sont d'ailleurs peu nombreux, moins d'une dizaine : nominations de "gardes bois", division du territoire de la commune en sections, premiers renouvellements des officiers municipaux…

Seul le serment civique imposé au sieur Pierre Montauban, archiprêtre et curé de l'église Saint-Félix, et à son vicaire Lassalle Bazaillac aurait pu être à l'origine de troubles divers. Mais la prestation qui se déroula à l'issue de la messe paroissiale, le dimanche 23 janvier 1791, s'effectua apparemment sans encombre.

Les années à venir allaient être nettement plus agitées…




(1) Archives départementales des Hautes-Pyrénées, Aucun, sélectionner Cahier de doléances dans la colonne de droite.

(2) Toutes les informations sur cette période de l'histoire de France sont tirées de l'ouvrage suivant : J. Tulard, J.-F. Fayard, A. Fierro, Histoire et Dictionnaire de la Révolution française, Éditions Robert Laffont, collection Bouquins, 1987, 1998, 1223 pages, ISBN 978-2-221-08850-0

(3) 746 habitants à Aucun en 1793, selon Wikipédia

4 commentaires:

  1. Ton texte est alerte et vivant. Tu nous fais découvrir la vie d'une commune rurale juste après la Révolution. Tout ça grâce à ta patience et à tes recherches minutieuses. Félicitations ! On attend la suite... comme un feuilleton !

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  2. Merveilleux document permettant d'appréhender une période particulière et de découvrir la vie d'un village.
    Merci pour ce partage !

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    1. Le registre des actes communaux disponible en ligne est une véritable mine d'informations pour toute la période révolutionnaire !

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