lundi 21 août 2017

Un contrat de mariage en 1900

La période estivale est propice à la collecte de documents généalogiques : j'ai profité d'un passage à Pau pour faire établir une carte de lecteur aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques et tenter d'en apprendre davantage sur un embrouillamini familial.

J'avais déjà évoqué le sujet à l'occasion du challenge AZ 2014, consacré à ma grand-mère Julia, dans un billet intitulé H commehistoire de dot et d'héritage. Mais il me manquait un document capital pour y voir plus clair et corriger quelques erreurs d'interprétation : le contrat de mariage.

Maurice Maitreau et son épouse
Collection personnelle

Celui-ci fut rédigé par Maître Albert Monguilan, notaire, et signé le 20 novembre 1900 par mon grand-père Maurice Maitreau, sa fiancée Julia Fourcade et les parents des deux futurs époux. Il ne comporte pas moins de sept pages, plus une annexe intercalée dans le registre des minutes notariales que j'ai eu le loisir de consulter.

Un aperçu intéressant sur les mœurs bourgeoises de l'époque !

Le régime matrimonial

Les futurs époux optent pour le régime de la communauté réduite aux acquêts. En d'autres termes, chacun reste propriétaire des biens qu'il possèderait avant le mariage, ou qu'il recevrait en donation ou en héritage après le mariage.

La communauté comprend les biens acquis durant le mariage et les revenus, quelle que soit leur origine (revenus d'une activité professionnelle, loyers, intérêts, dividendes des biens tant communs que propres).

Une clause du contrat prévoit l'attribution de cette communauté au conjoint survivant, ce qui paraît raisonnable.

Entendons-nous bien, toutefois : quand je dis que les époux choisissent ce régime matrimonial, cela ne reflète sans doute pas tout à fait la réalité. Si Maurice Maitreau, qui avait alors trente-et-un ans et avait fait des études de droit, était tout à fait capable de mesurer les implications des différents régimes, ma grand-mère, qui n'avait que dix-huit ans, n'a certainement fait que suivre les recommandations de ses parents…

Les apports des futurs époux

Sont d'abord énumérés les apports de Maurice Maitreau : la charge de greffier au tribunal civil de première instance d'Oloron-Sainte-Marie, qu'il a acquise moyennant finances quelques mois auparavant, ses effets personnels et divers mobiliers et meubles meublants, sans autre précision. Je note néanmoins au passage l'apport de voitures au pluriel (voitures à chevaux s'entend), d'un cheval et de harnais : c'était le moyen de transport privilégié à l'époque.

Sont ensuite énumérés les apports de Julia, lesquels, contrairement à ceux de son futur époux, font l'objet d'un état détaillé en annexe.

Certains objets me font sourire, comme ces deux statues de cuivre représentant la Fortune et la Renommée ou ce buste en terre cuite intitulé La Nuit. Le genre d'objets d'art qui trouvaient leur place sur la cheminée ! À ma connaissance, ils n'ont pas traversé le temps pour venir jusqu'à nous.

D'autres me sont plus familiers, pour les avoir vus chez mes parents ou chez mes tantes : le service de table en porcelaine (dont quelques assiettes sont parvenues jusqu'à moi), le service complet Christofle (malheureusement dispersé au fil des ans), le ramasse-miettes en métal blanc argenté, les dessous de bouteilles, la douzaine de cuillers à café en vermeil dans leur écrin, qui n'ont pas résisté aux mains trop brusques qui les ont utilisées…

Assiette en porcelaine, service Gascogne
Collection personnelle

Plus émouvants sont les bijoux et différents objets personnels : la paire de boucles d'oreilles solitaires, n'est-ce pas celle que ma grand-mère arbore sur plusieurs photos ? les jumelles de théâtre n'étaient-elles pas en nacre, comme celles qui sont exposées sur une étagère de ma bibliothèque ? Elles sont accompagnées d'un éventail du même style, dont le ruban de soie n'a pas trop souffert de l'usure du temps.

Jumelles de théâtre et éventail
Collection personnelle

Figurent également sur la liste un missel, un bénitier en marbre blanc et un prie-Dieu (la religion occupait encore une place prépondérante).

Ce dernier éveille en moi de lointains souvenirs : je revois un meuble qui avait pris place dans le salon de mes parents, à gauche de la cheminée. Il était en bois clair, avec une petite armoire à double porte dont la serrure résistait à mes mains d'enfant, pour y ranger missels, chapelets et autres objets de piété. La tablette du dessus, légèrement inclinée, ressemblait à un pupitre et la partie basse du meuble comportait deux plateaux, dont un monté sur charnières, relevé pour s'agenouiller, abaissé pour s'asseoir !

Les donations

Ce fameux contrat de mariage comporte encore deux donations, l'une préciputaire et l'autre en avancement d'hoirie(1), accordées par les parents Fourcade à leur fille Julia. Nous y voilà ! Elles constituent, à n'en pas douter, le nœud du conflit qui surgirait entre ma grand-mère et deux de ses frères, près de trente ans plus tard. J'y reviendrai en détail dans un prochain billet.

Le lieu de la signature

Nous sommes le 20 novembre 1900, deux jours avant le mariage civil en l'hôtel de la mairie de Pau, quatre jours avant le mariage religieux en l'église Saint-Martin.

La signature du contrat se déroule "en la demeure de Monsieur et Madame Maitreau, père et mère", où se sont transportés le notaire, accompagné d'un de ses collègues, et les parents de Julia, Théodore Fourcade et son épouse, Eugénie Caperet. Il s'agit vraisemblablement de l'appartement du 53, rue Carnot, où le couple est recensé l'année suivante.

Est-ce significatif ? Y a-t-il une tradition en cette matière ? S'agit-il simplement d'une question de respect dû à l'âge ? N'oublions pas que Achille Maitreau, né en janvier 1821, était déjà presque octogénaire, alors que Théodore Fourcade, né en juin 1855, n'avait que quarante-cinq ans.

Quoi qu'il en soit, je ne suis pas loin de penser que les parents Maitreau ont imposé leurs volontés aux parents Fourcade…




(1) J'expliquerai ces termes et en développerai les implications dans un prochain billet.

10 commentaires:

  1. Un contrat de mariage fort intéressant, ayant étudié quelques uns de cette époque j'aurais bien aimé lire des listes d'objets aussi détaillées.
    C'est une chance de pouvoir les retrouver chez toi ou chez des cousins, ces objets, précieux par les souvenirs qu'ils transmettent.

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  2. Bravo pour cette reprise, comme toujours tout est clair et on apprend toujours quelque chose



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  3. Le lien avec la lettre H n'existe plus, me semble-t-il.

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    1. Merci de me l'avoir signalé. Voilà, j'ai rétabli le lien.

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  4. Il me semble que Bourdieu a étudié la propension des Béarnais à vivre ensemble, sur plusieurs générations, sous le même toit.
    http://www.chaslerie.fr/blog/message/17522

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    1. Ce qui m'interroge, c'est le lieu où est signé le contrat de mariage : chez les parents Maitreau, plutôt que chez les parents Fourcade…

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  5. Tiens, je l'ai retrouvé chez moi : http://www.chaslerie.fr/blog/message/16872

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  6. Dernier paragraphe, le "je" a sauté.

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    1. Merci. Pourtant, je me relis plusieurs fois, mais… voilà, c'est corrigé.

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  7. Bonjour,

    Juste pour vous dire que tout récemment, ma tante ayant racheté la maison de ma grand-mère, j'ai pu fouiller dans les objets lui ayant appartenu. Parmi eux, une paire de jumelle comme celle en photo dans votre article. A défaut de contrat de mariage (ce n'est pas une pratique familiale), j'ai pu retrouver des objets sur des photos anciennes et même des photos présentes sur des photos (ce qui parfois permet de dater l'ensemble).

    La généalogie permet vraiment des découvertes passionnantes et je crois qu'une vie ne me suffira pour tout découvrir concernant ma famille.

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