lundi 18 avril 2016

Le reliquaire de Chantrigné

Vous connaissez mon goût pour les mentions insolites dans les registres paroissiaux. Depuis quelques jours, je feuillète assidument ceux de Chantrigné et j'entretiens, à plus de trois siècles de distance, une certaine bienveillance à l'égard de l'un de ses vicaires, qui manie artistement la plume. Boucles et jambages, majuscules élégantes, lignes régulières, chiffres aisément identifiables, orthographe proche de la nôtre, que demander de plus ?

Nous sommes en 1667. Les actes se succèdent avec une belle régularité. Tous les baptêmes, puis tous les mariages, puis toutes les sépultures sur des feuillets distincts, avec le paraphe de Michel Le Roux une seule fois en bas de page : sans doute s'agit-il du deuxième exemplaire du registre, qui n'est qu'une copie établie à partir du premier. Fort peu de signatures, hors celle de l'homme d'église.

Et puis soudain, entre deux baptêmes, ce texte :

Source AD Mayenne E dépôt 39/E2 vue 88/169

"Le Reliquaire de Saint Julien de l'Eglise de Chantrigné pese
un marc cinq onces, moins 18 grains valant pour l'argent 45#
8 s(ols) et 18# pour la façon qui a esté payé par M. Michel le
Roux pbre. vicaire de Chantrigné et faisant la charge de
procureur fabricien aux dépens de la fabrice (sic) fors la somme
de vingt livres qu'il a donnée pour defuncte Julienne
Cruchet sa mere, et treize livres cinq sols qui ont esté resservés
par l'Eglise de sorte qu'il n'y a de la fabrice que 35# 3 s(ols) plus
il luy a cousté pour l'aller querir au Mans le 22 juin 1667  70 s(ols)
."

Me voilà aux prises avec les anciennes mesures de poids : le marc correspond à 8 onces, l'once à 16 gros et le gros à 72 grains. Précisons au passage que le marc fait à peu près 244,75 grammes ou une demi-livre de l'ancien temps. Le reliquaire en argent pesait donc (je vous fais grâce des calculs) un peu moins de 400 grammes.

Passons maintenant au coût de l'objet. Ne nous trompons pas de siècle, ce que vous pourriez prendre pour un "hashtag" n'est jamais que l'abréviation couramment utilisée à l'époque pour la livre unité de compte, laquelle correspondait à 20 sols.

Et là, je me demande si le vicaire de Chantrigné n'avait pas un souci avec les chiffres. J'aurais tendance à penser que le reliquaire a coûté 63 livres et 8 sols, main-d'œuvre comprise. Soit 20 livres offertes par sa défunte mère, 13 livres et 5 sols par l'Eglise et donc 40 livres et 3 sols restant à la charge de la fabrique(1). Plus les frais de voyage de messire Le Roux ! Quelle distinction le vicaire fait-il entre les deniers  de l'Eglise et ceux de la fabrique ? L'histoire ne le dit pas.

J'ai cherché à en apprendre davantage, mais comme le dit l'instituteur chargé de rédiger la monographie de la commune en 1899, "au point de vue de l'histoire Chantrigné est une des communes les plus pauvres" ! Le document ne fait qu'une dizaine de pages manuscrites et je n'y ai trouvé que cette allusion, indirecte, à un reliquaire : "Autrefois Chantrigné avait deux assemblées très suivies la St Julien le 27 janvier et la St Pierre le 29 juin ; mais depuis quarante ans l'exposition des reliques de ces saints n'attire plus les pèlerins."

Autres temps, autres mœurs…



(1) Organisme chargé d'administrer les biens de la paroisse et de tenir les comptes des recettes et des dépenses.

4 commentaires:

  1. Tu as vraiment l'art de faire parler les textes anciens ! J'apprécie beaucoup tes recherches, sans compter les calculs compliqués des poids et mesures et monnaies d'autrefois. Et quelle patience, pour dénicher ces mentions insolites au fil des pages. Bravo !

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  2. Elle est généreuse la maman du vicaire ! Il a une belle écriture son fils, je comprends que tu aies du plaisir à tourner les pages de ce registre. C'est sympa à toi de partager ces découvertes.

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  3. Merci, puis-je me permettre d'utiliser cette belle page qu'est la vôtre, en exemple, pour inciter mes élèves à faire l'effort et leur donner le goût de la paléographie ?

    Merci de ce partage,
    Kathleen

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