lundi 20 avril 2015

Un témoin exotique

"Charles Joseph Demedina, écrivain, âgé de quarante-six ans" : je l'ai rencontré pour la première fois dans l'acte de naissance de mon arrière-arrière-grand-mère Elisabeth Marie Letourneau, où il figure comme deuxième témoin, en octobre 1826.

Il a intrigué la généalogiste débutante que j'étais alors (j'ai créé sa fiche dans Heredis en juin 2009, un mois à peine après ma propre fiche). Son patronyme, tout d'abord, inattendu à Château-Gontier, ville de cinq à six mille habitants à l'époque, située sur les bords de la Mayenne, au sud du département du même nom. Sa profession, ensuite, qui n'a pas manqué de me titiller.

Je le retrouve dans une dizaine d'événements concernant mes ancêtres et leurs alliés, naissances, mariages, décès, toujours en dernière position parmi les témoins.

Signature de Charles Joseph Demedina en 1816

Une lecture plus attentive des registres de l'état civil éclaire assez vite ce deuxième point. La signature du sieur Demedina apparaît fréquemment au pied des actes, jusqu'à figurer quasiment sur chaque feuillet, pour s'interrompre brusquement après le 10 juin 1827. L'explication m'est donnée quelques pages plus loin, dans son acte de décès, daté du 29 juin : il était secrétaire de mairie ! Écrivain, c'est-à-dire scribe(1), qui n'a sans doute jamais rédigé autre chose que des formules inlassablement répétées au fil des documents officiels. Et qui jouait les utilités, lorsque les parties concernées peinaient à atteindre le nombre de témoins réglementaire.

Restait le patronyme, qui sonne ibérique, ce qui me paraît peu courant dans cette région au XIXe siècle. J'ai naturellement voulu en savoir davantage. Pourtant Charles Joseph est bien né à Château-Gontier, Le 17 février 1780, et il a été baptisé le lendemain en l'église Saint-Jean-Baptiste. Le père, prénommé également Charles Joseph, signe "Charles de Medina". Jusque là, rien de particulier.

Le mariage des parents va m'en apprendre davantage. L'acte occupe une page et demie dans le registre de la paroisse Saint-Jean-Baptiste. Si Marie Tommerie (Marie Hyacinthe Jeanne Tommerie, selon son acte de baptême) est originaire de Château-Gontier, où elle est née en 1747, il n'en va pas de même pour le futur époux, qui ce jour-là signe "Carlos Joseph de Medina". Avec une pointe d'accent dans la voix, sans doute.

Un certificat de don Bernard Joseph de Mendoza, curé de l'église Saint-Laurent, dans la ville de Cadix(2), située à l'extrême sud de l'Andalousie, sur la côte atlantique, atteste du consentement des parents de Charles Joseph : il s'agit de Jean Ignace de Medina, apothicaire, et de Jeanne Tournier, cette dernière manifestement d'origine française.

Le document, rédigé le 5 février 1778, traduit de l'espagnol en français, est passé entre les mains du chancelier du consulat de France à Cadix, du consul général de France en Andalousie et de l'évêque d'Angers, pour parvenir enfin à Château-Gontier, où le mariage est finalement célébré le 12 mai suivant. Le tout scrupuleusement décrit par le vicaire de Saint-Jean-Baptiste.

Le secrétaire de mairie avait bien des origines espagnoles, comme son patronyme le laissait supposer.

Le père, qualifié de marchand dans les différents actes, est pour sa part cité dans le Bulletin de la commission historique et archéologique de la Mayenne(3) : il faisait partie des officiers municipaux qui siégeaient au conseil général de la commune de Château-Gontier en 1794 et qui avaient à statuer sur l'obstination des Augustines, infirmières de l'hôpital Saint-Julien, à refuser de prêter serment à la Constitution. Mais ceci est une autre histoire…



(1) C'est ainsi qu'il est qualifié dans l'acte de mariage, lorsqu'il épouse Jeanne Anne Rigot, en juin 1800, à la mairie de Château-Gontier.

(2) Wikipédia indique qu'une importante communauté française résidait à Cadix au XVIIe et au XVIIIe siècles, lorsque la ville était le port d'attache des navires qui drainaient les richesses du continent américain.

(3) Bulletin de la commission historique et archéologique de la Mayenne, 2e série, tome 38, 1922, p.310.

3 commentaires:

  1. A propos d'attaches ibères et de littérature, j'ai entendu dire que, dans la famille, on appelait José-Maria de Heredia "Oncle Pépito". Aurais-tu des infos à ce sujet ?

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  2. Le terme témoin-utilité me plait, on a cette impression parfois

    Fanny-Nésida

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