Laissez-moi vous emmener aujourd'hui faire un tour dans les
Mauges, cette partie de l'Anjou située au sud de la Loire, délimitée par la
Vendée au sud-ouest et les coteaux du Layon à l'est. Plus précisément à
Saint-Lézin, à la fin du XVIIe siècle, sous le règne de Louis XIV. Nous sommes
à deux lieues environ de Chemillé, quelques lieues supplémentaires de Beaupréau
et de Cholet, dans un paysage de bocage.
Carte trouvée sur le site de le ferme pédagogique du GAEC La Passerelle |
C'est dans la paroisse de Saint-Lézin que vivait le couple
formé par Mathurin Tareau, fileur de laine, et son épouse Françoise Uzureau,
mes lointains ancêtres à la onzième génération. Parmi leur progéniture, il y
eut au moins deux filles : l'une, Jacquine, épousa Michel Douezy en 1692
et l'autre, Louise, épousa François Caillaud en 1696.
La lignée de la première conduit à travers le temps jusqu'à Jenny
Letourneau, ma grand-mère paternelle, née en 1875 et décédée en 1940. La lignée
de la seconde conduit à François Constant Uzureau, chanoine et historien, né en
1866 et décédé en 1948.
Un cousinage
inattendu
Geneastar m'avait signalé au printemps dernier ce lointain
cousinage avec un ecclésiastique dont la célébrité m'avait totalement échappée
jusque là ! J'imprimai la liste des ascendants de François Constant
Uzureau jusqu'à Mathurin Tareau et je rangeai le document, en attendant d'y
revenir en temps utile.
Je l'ai repris depuis quelques jours, afin de compléter dans
la mesure du possible cette liste, en y indiquant les dates et les lieux des
baptêmes, des mariages et des sépultures, ainsi que les prénoms et noms des
conjoints, avant de les saisir dans ma base de données. Je tiquais néanmoins sur
un détail : Jacquine Caillaud, fille de François Caillaud et Louise
Tareau, baptisée le 22 mars 1698 à Saint-Lézin, aurait donné naissance à un
fils le 9 janvier 1748… à l'âge fort avancé (pour l'époque, bien sûr, ne
vous méprenez pas) de cinquante ans, donc ! Cela me paraissait peu
vraisemblable.
Première démarche
Tout d'abord, je vérifiai les informations à ma disposition.
Oui, il existe bien dans les registres paroissiaux de Saint-Lézin un acte de
baptême au nom de Jacquine Caillaud (ou Caillaut), à la date du 22 mars
1698, et la filiation ne laisse la place à aucune ambiguïté. Même si le
patronyme est orthographié avec des variantes au fil du temps, selon les
vicaires ou les curés.
Acte de baptême de Jacquine Caillaud AD Maine-et-Loire, Saint-Lézin vue 153/278 |
De même, il existe bien un acte de mariage entre une
certaine Jacquine Cailleau, avec la même filiation, et René Bompas le
26 novembre 1732 et un autre mariage entre Jacquine Caillaud, veuve de ce
même René Bompas, et Jean Boutin le 5 août 1738 (c'est de cette union
qu'est issu le jeune Jean Boutin, né le 9 janvier 1748, sur lequel j'ai
achoppé).
Toutefois, ce dernier document attribue à la dite Jacquine
vingt-trois ans, et non quarante. Je sais que l'imprécision sur l'âge des
parties est monnaie courante dans les actes de l'époque, mais un écart qui la
rajeunit de dix-sept ans, voilà qui n'est certes pas banal.
J'en profitai pour jeter un œil sur l'acte de sépulture daté
du 15 avril 1780. Là encore, la femme de Jean Boutin est créditée (si je
puis dire) de soixante-six ans, et non pas de quatre-vingt-deux ans, soit un
écart de seize ans en sa faveur !
L'inspecteur mène
l'enquête
Et s'il existait deux Jacquine Caillaud ? Je voulus en
avoir le cœur net.
C'était parti pour quelques heures de recherches, des allers
et retours fébriles entre les arbres en ligne sur Geneanet et les archives
numérisées du Maine-et-Loire, des listes rapidement couchées sur des feuilles
volantes, des notes inscrites mon journal de recherches…
Dans un premier temps, je décidai de reconstituer, dans la
mesure du possible, l'ensemble de la fratrie issue du couple formé par François
Caillaud et Louise Tareau, dont les noces avaient été célébrées à Saint-Lézin
le 28 février 1696. Je descendis donc page après page les registres
paroissiaux, heureusement fort lisibles sans l'aide d'un paléographe confirmé.
Même si quelques pièges, çà et là…
Je ne dénombrai pas moins de neuf enfants, au rythme plus ou
moins régulier d'un tous les deux ans, moins espacés au début, plus espacés à la
fin de façon tout à fait classique :
- Louise, baptisée en janvier 1697,
- Jacquine en mars 1698,
- Catherine en décembre 1700,
- François en janvier 1703,
- Jacques en avril 1705,
- Jean en janvier 1707,
- Renée en septembre 1709,
- Pierre en août 1712,
- et enfin Perrine en février 1716.
Tiens, tiens, cette petite dernière a eu pour marraine…
devinez qui ? sa sœur Jacquine ! Et si, par la suite, on l'avait
appelée Jacquine elle aussi ?
Acte de baptême de Perrine Caillaud AD Maine-et-Loire, Saint-Lézin vue 274/278 |
Je cherchai ensuite à savoir si Jacquine "l'aînée"
s'était mariée avant sa plus jeune sœur et je trouvai l'acte suivant : le
2 décembre 1719, "Jacquine
Caillaux fille de François Caillaux et de Loüise Tareau âgée de vingt deux ans"
a épousé un certain Pierre Courtois ou Courtais, en présence des pères et mères
des deux conjoints, ainsi que d'autres parents. L'âge indiqué, vingt-deux ans,
est cohérent avec l'âge réel, vingt-et-un ans.
C'est sans aucun doute ce même Pierre Courtois qui est
présent au mariage de "l'autre Jacquine" avec René Bompas en novembre
1732. Il est d'ailleurs cité dans l'acte en tant que beau-frère de la jeune
épouse du jour (elle a alors seize ans si elle ne fait qu'un avec Perrine).
Elle sera ainsi appelée Jacquine avec une belle constance
dans les registres paroissiaux, lors de tous les événements qui jalonneront son
existence jusqu'à son inhumation en avril 1780. Je note au passage que sa sœur
Jacquine "l'aînée", femme de Pierre Courtois, sera la marraine de son
premier né, René Bompas, baptisé en avril 1734.
Je n'ai donc pas la preuve formelle que la Perrine née en
février 1716 et la Jacquine mariée en 1732, remariée en 1738 et décédée en
1780, ne sont qu'une seule et même personne ; mais j'estime avoir réuni un
faisceau d'indices suffisamment concordants.
Soyons tout à fait honnête. Il y a un petit hic, un
seul : l'acte de baptême du jeune Charles Boutin le 29 janvier 1746.
Le curé de l'époque, René Ogereau, indique : "Charles né de ce jour fils de Jean Boutin métayer… et de Jacquine
Courtais Caillault son épouse" ! Allons bon ! La plume du
prêtre aurait-elle dérapé ou sa vue lui aurait-elle joué un tour ? Le
parrain s'appelle Charles Courtais, la marraine est l'épouse de François
Courtais, me voilà avec trois Courtais pour le prix de deux !
Le diable se niche dans les détails, dit-on. La preuve, en
tous cas, qu'il y avait bien plusieurs Jacquine Caillaud dans la paroisse et
que la confusion était possible.
Quelle leçon en tirer
Si j'ai éprouvé le besoin de vous conter par le menu mes
élucubrations et mes recherches, c'est pour en tirer quelques solides
principes :
1. D'abord, examiner les informations à notre disposition d'un
œil suffisamment critique pour y déceler les incohérences éventuelles (de
dates, de lieux, d'âge…).
2. Ensuite, ne jamais se satisfaire des informations de seconde
main (pas de simple copier-coller, donc), mais toujours remonter à leur véritable
source : les registres et les actes rédigés à l'époque des événements. Et
les comparer, lorsque l'on a la chance d'avoir plusieurs versions (la collection
communale et la collection départementale des registres d'état civil, par
exemple).
3. Ne pas oublier que l'erreur est toujours possible et ce à tous les niveaux : personne n'est infaillible, ni l'officiant religieux qui rédige l'acte, ni le curé ou le vicaire qui le recopie sur le second registre, ni le transcripteur qui déchiffre mal un prénom, un nom, un métier, une date, ni le généalogiste qui saisit les informations dans sa base de données…
4. Ne pas perdre de vue les coutumes des régions où ont vécu nos ancêtres, elles peuvent nous fournir des pistes. Pour ma part, j'ai constaté que les aînés recevaient souvent le prénom de leurs parents ou de leurs grands-parents, que les garçons recevaient le même prénom que leur parrain et les filles le même que leur marraine, et que le prénom usuel différait parfois de celui du baptême.
5. Toujours noter les témoins, les intervenants, les personnes présentes citées dans les actes ainsi que leur lien de parenté avec les parties, s'il est indiqué. Là encore, ces éléments constituent des indices à exploiter.
Bon, j'arrête là ce ton un peu trop "pédago"
peut-être pour des vacances estivales.
Et François Constant
Uzureau, dans tout ça ?
Eh bien, permettez-moi de vous orienter vers Feuilles d'ardoise. La blogueuse qui se
cache derrière ce joli titre a rédigé un billet sur ce personnage, à l'occasion
du challenge AZ de juin 2014 : il s'intitule très logiquement "U comme Uzureau".
Ce fut l'élément déclencheur de mes investigations du
moment, qu'elle en soit ici remerciée.
Ravie de retrouver ton blog ! Tu es en effet une excellente pédagogue. Bon, il faut que je reprenne mes recherches interrompues pendant les vacances. Merci pour tous tes bons "tuyaux".
RépondreSupprimerbelle recherche, comme on aime les voir exposer
RépondreSupprimerc'est toujours frustrant de se retrouver avec un faisceau d'indices, qui conduisent à une intime conviction, et de ne malgré tout pas avoir de preuve définitive ....
Merci beaucoup pour le lien vers mon blog. Je suis ravie de découvrir un article sur la région des Mauges qui m'est si chère, et une nouvelle cousine, (je descends aussi du couple Mathurin THAREAU et Françoise USUREAU). Les homonymes sont en effet légion dans les Mauges et il y a parfois de quoi s'arracher les cheveux ! Bon courage pour la suite et à bientôt j'espère pour de nouveaux articles !
RépondreSupprimerJ'étais moi aussi ravie de découvrir une nouvelle cousine à l'occasion du challenge AZ 2014, mais vous en savez sans doute plus que moi sur cette région des Mauges que mes ancêtres ont quittée il y a fort longtemps.
SupprimerJe ne sais pas si je la connais mieux mais la moitié de mes ancêtres y ont vu le jour ! Et si je rencontre de nouvelles informations, je vous en ferai part bien volontiers ! Amicalement.
SupprimerC'est gentil, merci.
SupprimerBravo !
RépondreSupprimerBravo pour cet article qui relate bien la difficulté de certaines recherches, et ravie de rencontrer une nouvelle cousine aussi grâce au couple Thareau/Usureau. En lisant votre billet, je me retrouve dans mes pérégrinations généalogiques dans les Mauges. A bientôt.
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