lundi 7 janvier 2013

Un curé historien : la peste de 1720


Les recherches dans les registres paroissiaux réservent parfois des surprises. Il arrive que le curé prenne la plume pour narrer un épisode venu interrompre la monotone succession des baptêmes, des mariages et des inhumations : la réfection d'un pont sur une rivière voisine, le baptême d'une nouvelle cloche, la visite de l'évêque, la foudre tombant sur le clocher du village…

C'est ce que Thierry Sabot appelle "les mentions insolites"(1).

Je travaillais sur une branche de ma famille originaire du Dauphiné et je tournais (virtuellement) les pages d'un registre de la paroisse d'Alixan, lorsque je tombai sur un feuillet intercalaire(2), un long paragraphe d'une page et demie sans alinéa.

Juste un mot, au passage, sur Alixan. Situé dans la Drôme, au nord-est de Valence en direction de Romans, le village présente la particularité d'être circulaire : les maisons du bourg forment trois anneaux concentriques autour d'une butte centrale sur laquelle est construite l'église Saint-Didier, du XIIe siècle. Mais revenons aux mentions du registre paroissial : messire Neyremand, curé du lieu, y relate par le menu l'épidémie de peste qui se déclara à Marseille en juillet 1720 et se propagea en Provence, dans le Languedoc et dans le Comtat Venaissin.

Source Photo Pin Creatives Commons

C'est un récit fort détaillé, écrit avec une langue et une orthographe très proches de celles d'aujourd'hui. Outre la date et le lieu de l'événement, le curé d'Alixan nous indique les causes du drame, ses effets, les mesures prises pour enrayer l'épidémie, la durée de celle-ci. En voici le résumé.

Un vaisseau rentré du Levant(3) les cales chargées de marchandises (notamment des soieries et des balles de coton destinées à la foire de Beaucaire) est à l'origine de l'épidémie. Les personnes atteintes décèdent le plus souvent dans les trois jours qui suivent, même si certains en réchappent. Le mal se répand dans les villes voisines, Aix, Toulon, Avignon…

Messire Neyremand parle des troupes postées aux limites du Dauphiné(4) pour restreindre la circulation, des médecins et des médicaments envoyés par le roi, des habits de toile cirée et des vêtements trempés dans le vinaigre, des herbes odoriférantes utilisées par les personnes en contact avec les malades, des fosses creusées pour enterrer les morts, des mesures de quarantaine prises à l'encontre des voyageurs.

Il estime à 50 000 le nombre de victimes pour la seule ville de Marseille, évoque le dévouement de l'évêque(5) et conclut par le retentissement de cet épisode dramatique sur les habitants de sa province, qui par ailleurs fut épargnée : "tout le dauphiné a été en allarme pendant ces deux années la plus part se sauvoient dans leurs maisons de campagne" (je respecte ici l'orthographe de l'ecclésiastique). On songe à ces vers de La Fontaine :

"Un mal qui répand la terreur
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre…"

Le texte du curé d'Alixan fait écho à l'émission de Franck Ferrand, "L'ombre d'un doute", diffusée sur France 3 le 12 décembre 2012 et intitulée "La peste de 1720 : a-t-on sacrifié Marseille ?".

On y apprenait notamment que le bacille de la peste, véhiculé par le rat noir, fut transmis à l'homme par l'intermédiaire des puces, qui proliféraient dans les ballots de tissus entreposés dans les cales des navires. On y évoquait également la responsabilité des échevins de Marseille, chargés de faire appliquer la réglementation sanitaire, mais également propriétaires d'une partie de la cargaison incriminée. Bel exemple d'un conflit d'intérêts !

Le texte a été rédigé après la fin de l'épidémie puisqu'il en indique la durée : deux ans. Le registre paroissial présente à cet endroit un certain désordre ; les pages qui précèdent le récit de la peste contiennent ce qui semble des copies des actes de 1720, les pages qui suivent sont des certificats de publication de bans datés d'octobre 1720, puis ce qui semble des originaux avec signature des actes de novembre, décembre 1718 et du début de l'année 1719. Il subsiste toujours une part d'interrogation dans la consultation de ces documents…

Ce n'est pas la première fois que la généalogie me conduit à pousser plus loin mes recherches et à enrichir mes connaissances. J'aurai l'occasion d'en reparler. Je pense que vous serez d'accord avec moi pour dire que c'est ce qui la rend passionnante ?



(1) Thierry Sabot, Nos ancêtres et les mentions insolites des registres paroissiaux, Editions Thisa, 2011

(2) Archives départementales de la Drôme, Alixan, registre paroissial 1710-1742, 1MI 65/R5, vues 91 et 92/354

(3) Le Grand Saint-Antoine, arrivé en rade de Marseille le 25 mai 1720, qui avait eu plusieurs décès suspects parmi les membres de son équipage.

(4) Un mur de pierres sèches fut même construit entre la Durance et le mont Ventoux, dont il subsiste encore des traces aujourd'hui.

(5) Monseigneur de Belsunce, évêque de Marseille, qui a un cours et un quartier à son nom dans la cité phocéenne.

2 commentaires:

  1. La vidéo de l'émission "L'ombre d'un doute" est en ligne à cette adresse : http://www.dailymotion.com/video/xw4g1q_la-peste-de-1720-a-t-on-sacrifie-marseille_tech#.UOqfrKxv_ew

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  2. Passionnante en effet ! et article passionnant ! Merci du partage !

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