Les recherches dans les registres paroissiaux réservent
parfois des surprises. Il arrive que le curé prenne la plume pour narrer un
épisode venu interrompre la monotone succession des baptêmes, des mariages et
des inhumations : la réfection d'un pont sur une rivière voisine, le
baptême d'une nouvelle cloche, la visite de l'évêque, la foudre tombant sur le
clocher du village…
C'est ce que Thierry Sabot appelle "les mentions
insolites"(1).
Je travaillais sur une branche de ma famille originaire du
Dauphiné et je tournais (virtuellement) les pages d'un registre de la paroisse
d'Alixan, lorsque je tombai sur un feuillet intercalaire(2),
un long paragraphe d'une page et demie sans alinéa.
Juste un mot, au passage, sur Alixan. Situé dans la Drôme,
au nord-est de Valence en direction de Romans, le village présente la
particularité d'être circulaire : les maisons du bourg forment trois
anneaux concentriques autour d'une butte centrale sur laquelle est construite
l'église Saint-Didier, du XIIe siècle. Mais revenons aux mentions du
registre paroissial : messire Neyremand, curé du lieu, y relate par le
menu l'épidémie de peste qui se déclara à Marseille en juillet 1720 et se
propagea en Provence, dans le Languedoc et dans le Comtat Venaissin.
Source Photo Pin Creatives Commons |
C'est un récit fort détaillé, écrit avec une langue et une
orthographe très proches de celles d'aujourd'hui. Outre la date et le lieu de
l'événement, le curé d'Alixan nous indique les causes du drame, ses effets, les
mesures prises pour enrayer l'épidémie, la durée de celle-ci. En voici le
résumé.
Un vaisseau rentré du Levant(3) les cales chargées de marchandises (notamment des soieries et des balles de
coton destinées à la foire de Beaucaire) est à l'origine de l'épidémie. Les
personnes atteintes décèdent le plus souvent dans les trois jours qui suivent,
même si certains en réchappent. Le mal se répand dans les villes voisines, Aix,
Toulon, Avignon…
Messire Neyremand parle des troupes postées aux limites du
Dauphiné(4) pour restreindre la circulation, des
médecins et des médicaments envoyés par le roi, des habits de toile cirée et
des vêtements trempés dans le vinaigre, des herbes odoriférantes utilisées par
les personnes en contact avec les malades, des fosses creusées pour enterrer
les morts, des mesures de quarantaine prises à l'encontre des voyageurs.
Il estime à 50 000 le nombre de victimes pour la seule
ville de Marseille, évoque le dévouement de l'évêque(5) et conclut par le retentissement de cet épisode dramatique sur les habitants de
sa province, qui par ailleurs fut épargnée : "tout le dauphiné a
été en allarme pendant ces deux années la plus part se sauvoient dans leurs
maisons de campagne" (je respecte ici
l'orthographe de l'ecclésiastique). On songe à ces vers de La Fontaine :
"Un mal qui répand
la terreur
Mal que le Ciel en
sa fureur
Inventa pour punir
les crimes de la terre…"
Le texte du curé d'Alixan fait écho à l'émission de Franck
Ferrand, "L'ombre d'un doute",
diffusée sur France 3 le 12 décembre 2012 et intitulée "La
peste de 1720 : a-t-on sacrifié Marseille ?".
On y apprenait notamment que le bacille de la peste,
véhiculé par le rat noir, fut transmis à l'homme par l'intermédiaire des puces,
qui proliféraient dans les ballots de tissus entreposés dans les cales des
navires. On y évoquait également la responsabilité des échevins de Marseille,
chargés de faire appliquer la réglementation sanitaire, mais également
propriétaires d'une partie de la cargaison incriminée. Bel exemple d'un conflit
d'intérêts !
Le texte a été rédigé après la fin de l'épidémie puisqu'il
en indique la durée : deux ans. Le registre paroissial présente à cet
endroit un certain désordre ; les pages qui précèdent le récit de la peste
contiennent ce qui semble des copies des actes de 1720, les pages qui suivent
sont des certificats de publication de bans datés d'octobre 1720, puis ce qui
semble des originaux avec signature des actes de novembre, décembre 1718 et du
début de l'année 1719. Il subsiste toujours une part d'interrogation dans la
consultation de ces documents…
Ce n'est pas la première fois que la généalogie me conduit à
pousser plus loin mes recherches et à enrichir mes connaissances. J'aurai
l'occasion d'en reparler. Je pense que vous serez d'accord avec moi pour dire
que c'est ce qui la rend passionnante ?
(1) Thierry
Sabot, Nos ancêtres et les mentions insolites des registres paroissiaux, Editions Thisa, 2011
(2) Archives
départementales de la Drôme, Alixan, registre paroissial 1710-1742, 1MI 65/R5,
vues 91 et 92/354
(3) Le Grand
Saint-Antoine, arrivé en rade de Marseille le 25 mai 1720, qui avait eu
plusieurs décès suspects parmi les membres de son équipage.
(4) Un mur de
pierres sèches fut même construit entre la Durance et le mont Ventoux, dont il
subsiste encore des traces aujourd'hui.
(5) Monseigneur
de Belsunce, évêque de Marseille, qui a un cours et un quartier à son nom dans
la cité phocéenne.
La vidéo de l'émission "L'ombre d'un doute" est en ligne à cette adresse : http://www.dailymotion.com/video/xw4g1q_la-peste-de-1720-a-t-on-sacrifie-marseille_tech#.UOqfrKxv_ew
RépondreSupprimerPassionnante en effet ! et article passionnant ! Merci du partage !
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