En janvier dernier, j'ai profité d'une journée ensoleillée
pour aller photographier la tombe du sculpteur Alexandre Falguière (1831-1900)
au cimetière du Père Lachaise. Pourquoi, me direz-vous ? parce que ma
marraine y est enterrée au côté de son mari, le commandant Falguière, chef
d'escadron au 4e hussards, officier de la Légion d'honneur, Croix de
guerre et, accessoirement, fils du sculpteur.
Tombe Falguière au cimetière du Père Lachaise Collection personnelle |
Si j'ai bien connu cette dame qui aimait à raconter qu'elle
avait le même âge que la Tour Eiffel, je savais peu de choses sur son époux,
décédé en décembre 1925, à l'âge de cinquante ans, laissant une jeune veuve avec
quatre enfants en bas âge. L'un d'eux épousera la plus jeune sœur de ma mère
vingt ans plus tard, nouant ainsi des liens entre nos deux familles.
Poussée par la curiosité, j'ai donc entamé des recherches
généalogiques sur le sculpteur et sur sa descendance, aidée en cela par les
dossiers numérisés de la Légion d'honneur, accessibles sur la base Léonore. Une
excellente porte d'entrée pour des recherches plus approfondies.
Je m'arrête aujourd'hui sur le mariage de Maurice Alexandre
Falguière et d'Yvonne Guéroult. Outre le fait qu'il fut célébré le
7 novembre 1918, quatre jours avant l'armistice de la Première Guerre
mondiale, il est également remarquable en raison des témoins qui apposent leur
signature au bas de l'acte. Jugez plutôt.
Henri Blacque-Bélair, tout d'abord. À l'époque général de
brigade, officier de la Légion d'honneur, il fut écuyer en chef de l'Ecole de
cavalerie de Saumur, le fameux Cadre noir, de 1909 à 1914. Il rédigea plusieurs
ouvrages sur l'art équestre, dont en 1912 Réponses
au questionnaire d'équitation de l'école de cavalerie, principes et directives
classiques(1).
Je parcours la dédicace et j'y retrouve le nom du lieutenant Falguière, parmi
les écuyers qui ont servi sous ses ordres.
André Barbet-Massin, ensuite. Chef de bataillon d'infanterie
à l'état-major d'un corps d'armée, chevalier de la Légion d'honneur. En 1917,
il était au service de l'état-major du 5e corps d'armée, tout comme
le capitaine Falguière.
Manifestement, ces deux militaires sont donc les témoins du
mari. J'ai tendance à penser que les deux autres sont les témoins de l'épouse. Sur
Anne Marie Doré Graslin, propriétaire à Nantes, je n'ai pas d'information
particulière. Yvonne Guéroult était bretonne, au moins par sa mère, mais je
n'ouvrirai pas ici un débat sur le fait de savoir si la ville de Nantes est ou
non rattachée à la Bretagne.
Passons au dernier témoin : Emile Fabre, quarante-cinq
ans, administrateur général de la Comédie française(2), officier de la Légion d'honneur à l'époque du mariage. Il accèdera au grade de
commandeur en septembre 1920 et son dossier en ligne sur la base Léonore ne
comprend pas moins de trente-neuf pages ! En le feuilletant, je constate
que sa nomination au grade de chevalier en 1904 rencontra une réticence
certaine, car je tombe sur un document portant le tampon de la Grande
Chancellerie où figurent ces quelques lignes : "Renseignements Emile Fabre, Mœurs privées douteuses, Honorabilité nulle
avec les femmes, Le rouge n'est pas sa couleur" !
Portrait d'Emile Fabre en 1917 Source Wikimedia Commons |
Mais voyons cela de plus près. Emile Fabre (1869-1955) est
d'abord connu comme auteur dramatique et comme metteur en scène, partisan du
Théâtre-Libre. Nommé administrateur général de la Comédie française en décembre
1915 pour la durée de la guerre, il restera finalement en poste jusqu'en 1936.
Dans le dossier fourni à l'appui du projet de nomination au
grade de commandeur en 1920, je trouve la liste des pièces qu'il a écrites et à
la rubrique "Détails sur les
services extraordinaires rendus par le candidat" un long paragraphe
sur le théâtre aux armées. Emile Fabre en est le fondateur et, à ce titre,
aurait donné plus de 1 200 représentations sur le front. Tiens,
tiens ! Voilà qui accréditerait ce que je prenais jusqu'à présent plus ou
moins pour une légende familiale : ma marraine aurait fait du théâtre et
elle aurait peut-être même figuré dans certains films du temps du cinéma
muet ! Si elle a sollicité Emile Fabre pour être témoin à son mariage,
c'est sans aucun doute qu'elle le connaissait bien et peut-être qu'elle l'avait
côtoyé professionnellement parlant.
Je me demande même dans quelle mesure elle n'a pas rencontré
son futur mari à cette occasion ? Pour en savoir davantage, il me faudrait
au moins deux éléments : quel était le nom de théâtre d'Yvonne Guéroult et
où trouver des informations sur les représentations du théâtre aux armées
durant la Grande Guerre. Si vous avez des pistes à me proposer…
(1) Henri Blacque-Bélair, Réponses au
questionnaire d'équitation de l'école de cavalerie, principes et directives
classiques, J. B. Robert, libraire éditeur 46, rue d'Orléans, Saumur 1912,
disponible sur le site du fonds ancien des bibliothèques
équestres de Saumur.
(2) L'administrateur général de la Comédie française décide notamment de la
programmation des pièces, avec l'assistance d'un comité de lecture.
La curiosité est une qualité, et le récit fort bien conduit. Peut être une suite ?
RépondreSupprimerFanny-Nésida
Quand j'aurai trouvé les réponses aux questions que je me pose au dernier paragraphe, avec plaisir.
SupprimerOn te voit suivre avec ravissement les pistes de ce mariage et c'est un plaisir de te suivre dans cette enquête.
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerS'agissant des représentations du théâtre aux armées pendant la Grande Guerre,je vous suggère de rechercher au SHD.
Dans l'attente de lire la suite.
C'est en effet une excellente idée que je vais tester rapidement.
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerje fais des recherches sur Alexandre Falguière (le sculpteur) et son oeuvre et j'ai été intéressé par votre quête. Le témoin de mariage de votre marraine fut un éminent (sauf pour la moralité à ce que j'ai compris...) administrateur de la comédie française, et le sculpteur un assidu et incontournable "client" de ce théatre (qui conserve pas moins de 6 de ses sculptures !) et, j'en ai bien peur, de ses actrices... M. FABRE avait une trentaine d'années au décès de Falguière Sculpteur, et le Falguière militaire près de 25 ans, se sont ils croisés à la Comédie Française puis aux obsèques ? probable... lui a t il présenté quelques années plus tard votre marraine ou se sont ils retrouvés acteurs et spectateur lors d'une représentation ? le scénario est plaisant à imaginer... reste à confronter les affectations durant la grande guerre et les représentations dirigées ou jouées par M. FABRE...
bonne chance dans votre quête !
Par ailleurs savez vous si les enfants de Mme Falguière ont conservé souvenirs et archives relatives à l'aïeul sculpteur ?
merci en tout cas
Philippe Laporte phj106@live.fr