lundi 26 août 2013

Querelles de clochers


Jean Texier, vingt-quatre ans, a été inhumé le 21 novembre 1772 dans le cimetière de Saint-Just des Verchés. A priori, ce n'est pas un de mes ancêtres, alors pourquoi m'intéresse-t-il ?

Les Verchés sur la carte de Cassini
Source La France à la Loupe, BSD Concept

Il semble qu'il se soit noyé deux jours auparavant dans un fossé, ce qui, en soi, est déjà peu banal. Malaise, funeste distraction, effet désastreux du vin du pays ? L'histoire ne le dit pas. Mais il est surtout, bien malgré lui, au centre d'une polémique entre le curé de Saint-Just des Verchés et celui de Saint-Pierre des Verchés.

Le premier s'appelle François Bizard. Vous avez dit bizarre ? sur son registre, il s'emploie à préciser le lieu où fut trouvé le corps :

"…trouvé noyé sur cette paroisse dans le fossé de viger
des Mousseaux qui est à la Droite du chemin qui conduit
de verché à doué au dessus de notre côteau et vis à vis
de la terre de deschamps sur la gauche dudit chemin…
".

Pourquoi ce luxe de détails ? parce que Denis Joubert, curé de Saint-Pierre, n'est pas d'accord et le fait savoir :

"Le dit jour et an que dessus, je, soussigné curé de
st pierre de verché, m'oppose et me suis opposé
au susdit enterrement de jean texier dans le
cimetière de cette paroisse pretendant que le dit
texier est decedé dans ma paroisse et que le
fossé d'andré viger situé au dessus du costeau de
st just en allant de verché à doüé à main Droite
est de ma paroisse et non de celle de st just pour
quoi je proteste de toute nullité et je reclame les
droits de ma cure a verché ce vingt un novembre
mil sept cent soixante douze joubert curé de st
pierre
"

On imagine très bien Denis Joubert faisant irruption dans la sacristie d'un pas décidé, les paroles peu amènes à l'encontre de son homologue… Le prêtre exige qu'on lui présente le registre, qu'on lui fournisse une plume et de l'encre. D'une main tremblante d'indignation, il rédige les quelques lignes ci-dessus.

Ce à quoi répond François Bizard, sous le titre "Ma protestation" inscrit en marge :

"Je soussigné proteste contre la susditte protestation cy
dessus* et soutien que ledit texier est mort sur ma paroisse
à verché le jour et an que dessus
*que je n'ay souffert que pour le Bien de la paix".

Par ce renvoi, il n'omet pas de préciser qu'il a présenté le registre à contrecœur.

L'affaire semble en rester là, même si le curé de Saint-Pierre déverse son restant de colère dans son propre registre, sous le titre inscrit en marge "S jean texier noyé au costeau de st just reclamé par mr le curé de st pierre".

Visiblement, les deux hommes ne s'entendent guère. La querelle rebondit seize mois plus tard, lorsque François Bizard, toujours lui, baptise sous condition une petite fille :

"Le douzieme jour de Mars mil sept cent soixante quatorze a été
Baptisée par nous curé soussigné Marie Renée, trouvée ce jour exposée
sur la croix qu'a fait faire Mr Rimbaut fermier du prieuré de st
pierre de verché, placée sur notre paroisse étant sur le fossé qui
separe le pré de la Raye dependant du château d'écheuly du grand
chemin de doué à argenton château sans aucune Marque
qu'elle eut été Baptisée. a été Mareine Renée Guiard femme
de louis halbert qui a declaré ne savoir signer
".

Nouvelle protestation de Denis Joubert, inscrite tant dans le registre de Saint-Just que dans celui de Saint-Pierre, et contre-protestation de François Bizard.

Est-ce une question de gros sous ? On sait que les baptêmes, les mariages et les sépultures donnaient lieu au paiement d'un "casuel", somme d'argent versée par les fidèles à l'église où avait lieu la cérémonie (ou au prêtre qui la célébrait ?). J'ai même vu un registre paroissial où les sommes étaient inscrites en marge ! Mais, en cas d'enfant trouvé, qui paie pour le baptême ?

Ou bien est-ce une question de préséance ? Denis Joubert, le curé de Saint-Pierre, a une quinzaine d'années de moins que François Bizard, le curé de Saint-Just, mais il a parmi ses parents et alliés des personnalités influentes, si j'en juge par les deux neveux présents à sa sépulture, en septembre 1786. L'un, Etienne Mathurin Sailland d'Epinats, "seigneur d'Epinats et autres lieux", est "conseiller du Roy, officier criminel et premier conseiller civil au siège de la sénéchaussée de Saumur". L'autre, Maître Sailland de la Manche, est "conseiller du roy, avocat au parlement, élu à l'élection de Saumur". Ce que l'on appelle du beau linge.

François Bizard, désormais octogénaire et remplacé dans ses fonctions par Pierre Chamars, est néanmoins présent à l'inhumation de son vindicatif voisin.

Et vous savez quoi ? Au siècle suivant, en 1818, les paroisses de Saint-Just et de Saint-Pierre, ainsi que celle de la Lande de Verché, voisine, sont réunies en une seule commune, désormais appelée les Verchers-sur-Layon !

Sources

AD Maine-et-Loire, Saint-Just-des-Verchers, BMS 1743-1793, vues 173/321, 181/321, 274/321
AD Maine-et-Loire, Saint-Pierre-des-Verchers, BMS 1761-1793, vues 114 et 115/346, 129/346, 258 et 259/346
Dictionnaire historique, géographique et biographique de Célestin Port


Nota

L'orthographe "Verché" ou "Verchés" prévaut jusqu'au XIXe siècle.

lundi 19 août 2013

Concourson dans la tourmente révolutionnaire


Je relisais l'article que Wikipédia consacre à Concourson-sur-Layon, quand deux chiffres et deux dates ont attiré mon regard dans un tableau sur l'évolution de la population :
  • 1793         685,
  • 1800         338.
Comment ce village avait-il pu perdre 50 % de ses habitants en l'espace de sept ans à peine ?

Je note au passage que le Dictionnaire historique de Célestin Port, auquel je me réfère si souvent, reste étrangement muet sur la question, passant directement de l'année 1790 (688 habitants) à l'année 1831 (721 habitants). Aussi bien dans l'édition originale que dans l'édition révisée. Ce qui modifie sensiblement la perspective, vous en conviendrez…

Un rapide coup d'œil aux communes voisines confirme le phénomène : Doué-la-Fontaine, Saint-Georges-sur-Layon, les Verchers, Nueil, Vihiers, Montilliers, Coron, Vezins, Chemillé… toutes ont connu une baisse sensible de leur population entre 1793 et 1800.

Et toutes sont également situées dans ce qu'on a appelé la "Vendée militaire" : cette zone, qui déborde largement les limites départementales de la Vendée proprement dite, fut le théâtre d'affrontements sanglants entre Républicains et partisans de l'Ancien Régime. L'affaire avait commencé en février ou mars 1793, lorsque la Convention vota la levée en masse de 300 000 hommes et ne prit fin, après moult épisodes, qu'en janvier 1800.

La Vendée militaire, source Wikipédia

Les registres paroissiaux et d'état civil de Concourson seraient-ils plus bavards sur ce sujet ? Je décidai d'y jeter un œil.

Je note tout d'abord les rédacteurs successifs : le vicaire Blanvillain, qui n'apparaît plus après la fin janvier 1792, le curé Boussinot, qui signe un dernier acte le 31 mai de la même année, temporairement remplacé par le curé de la paroisse de Saint-Pierre des Verchers, enfin l'apparition d'un certain Claude Petit, "desservant" à partir du 9 juillet.

Le registre paroissial s'achève sur ce dernier acte :
"le trois de décembre mil sept cent quatre vingt douze l'an premier de
la République et en attendant qu'on m'ait enlevé les Registres j'ai deservant
soussigné inhumé dans le cimetière de ce lieu Jeanne Rouleau décédée d'hier
agée d'environ cinq ans fille du citoien René Rouleau marchand meunier et
de Jacquine Renard son épouse la sépulture faite en présence du père qui
a signé avec nous.
"

Il est suivi du texte suivant :
"Le vingt quatre décembre 1792
nous Maire et officier municipal de la commune de Concourson
Reconaison que le citoyen curé nous a remis tous les
Registre
."

Cet homme à l'orthographe approximative s'appelle Moreau. Il est accompagné de trois autres officiers municipaux qui signent d'une main peu assurée.

J'ai ensuite la surprise de retrouver Claude Petit dans les registres d'état civil dès le 6 janvier 1793 : il y indique qu'il est "membre du conseil général de la commune de Concourçon" et signe "Claude Petit curé et officier public". En voilà un qui était ouvert aux idées nouvelles ! Il laissera la place à un certain François Salmon, "officier public provisoire", en février 1794, avant de réapparaître en mars 1798 et de s'effacer définitivement devant Nicolas Grignon, "agent municipal", en 1799.

Si les rédacteurs se sont succédé à une cadence accélérée durant cette époque troublée, au moins la continuité des actes a-t-elle été assurée. Voyons maintenant leur nombre et pour cela rien de tel qu'un tableau, qui couvre la période allant de janvier 1790 à septembre 1802 (fructidor an X) :



À première vue donc, rien qui permette de mesurer le dépeuplement de la commune. Les chiffres de l'an II (et, dans une moindre mesure, ceux de l'année suivante) attirent néanmoins l'attention. Pas moins de 90 actes de décès pour l'an II, c'est-à-dire pour la période qui va de septembre 1793 à septembre 1794 !

Le plus souvent, l'officier d'état civil note simplement "mort en son domicile", ce qui ne nous en dit guère sur les causes du décès.

Je note toutefois un commandant du 4e bataillon de la Charente "tué à l'affaire de Trémont" en juin 1793, quatre hommes "tués par accident dans les mines" en janvier 1794, deux soldats morts dans le camp situé sur la commune… et surtout un nombre important de décès de personnes manifestement étrangères à Concourson, à en juger par les lieux d'origine des déclarants, parfois qualifiés de "réfugiés". La guerre de Vendée a certainement entraîné d'importants déplacements de population.

Mais aucune trace de l'un des épisodes les plus meurtriers de cette guerre, sobrement résumé comme suit(1) : "Le général Turreau, le 19 janvier 1794, met en marche les colonnes infernales qui, commandées par Duval, Grignon, Bart et Couzay, traversent toute la Vendée en passant, d'une part, par Brissac, Concourson, Vihiers et Parthenay, d'autre part, à Beaupréau, Chemillé et Cholet, faisant le désert sous leur pas, par le fer et par le feu."

Le général en chef, pressé d'en finir avec l'insurrection, avait donné à ses troupes un ordre parfaitement clair(2) : "On emploiera tous les moyens de découvrir les rebelles ; tous seront passés au fil de la baïonnette ; les villages, métairies, bois, landes, genêts, et généralement tout ce qui peut être brûlé, seront livrés aux flammes."

Ces morts anonymes ne figurent évidemment pas dans les registres d'état civil, mais leur absence hante jusqu'à aujourd'hui les statistiques démographiques.

(1) Notice historique de l'Anjou, par Landais, inspecteur primaire, officier d'Académie, Guérin, Paris, 1890 (Gallica)

(2) Guerres des Vendéens et des Chouans contre la République française, ou annales des départements de l'ouest pendant ces guerres, par un officier supérieur des armées de la République habitant dans la Vendée avant les troubles, tome 3, Baudouin frères, Paris, 1825 (Gallica)

lundi 12 août 2013

Une élection sous l'Ancien Régime


J'avais oublié, mais l'ai-je jamais su, que vers la fin de son règne Louis XVI tenta d'introduire un brin de démocratie dans l'administration du royaume. Il s'agit de la mise en place d'assemblées provinciales en 1787.

J'explorais les richesses de Gallica, la bibliothèque numérique de la BNF, et je tentais de savoir si, par hasard, certains de mes ancêtres n'étaient pas cités dans l'un des documents (parmi des millions) accessibles sur le site : je tapais le patronyme Maitreau dans la case prévue à cet effet. Une vraie gageure, car la reconnaissance optique des caractères donne parfois des résultats inappropriés ; il peut, par exemple, y avoir confusion entre "Maitreau" et "maître au…".

J'obtins 65 résultats, rien d'insurmontable donc. Je me lançais aussitôt dans l'examen des divers documents. Bingo ! j'en trouvai une petite dizaine de potentiellement intéressants. Dont une étude sur les assemblées provinciales(1), qui fait l'objet du présent billet.

Liste des élus, source Gallica

De quoi s'agit-il ? de confier à des assemblées élues un rôle dans la répartition équitable de l'impôt et dans les travaux d'intérêt général, le tout à l'échelon local. Un premier projet fut élaboré par Turgot en 1775, puis passa de main en main, au gré des changements à la tête des finances du royaume, jusqu'à l'édit du 26 juin 1787. À cette date, c'était le cardinal Loménie de Brienne qui était contrôleur général des finances.

La réforme prévoyait un système pyramidal : une première assemblée à l'échelon de la paroisse, une deuxième à l'échelon de l'Élection, dont les membres seraient choisis parmi les élus des paroisses, et une troisième à l'échelon de la Généralité, dont les membres seraient choisis parmi ceux de l'échelon immédiatement inférieur.

Il fallait avoir 25 ans révolus, être domicilié dans la paroisse depuis plus d'un an et payer au moins 10 livres d'impôt pour être électeur, au moins 30 livres pour être élu. Ce que l'on appellerait aujourd'hui un suffrage censitaire.

Le seigneur du lieu et le curé étaient membres de droit de l'assemblée paroissiale. Celle-ci était composée de trois, six ou neuf membres élus, suivant la population (moins de 100 feux, de 100 à 200 feux, plus de 200 feux). Elle comprenait en outre un syndic, chargé de l'exécution des décisions, choisi par la communauté et rémunéré, et un greffier non élu, chargé de rédiger les différents documents sous la responsabilité du syndic.

Alors, que s'est-il passé à Concourson ? Cette paroisse est l'une des cinquante-sept qui composent l'Élection de Montreuil-Bellay, subdivision de la Généralité de Tours. Elle compte à l'époque 165 feux, soit un peu moins de 700 habitants, et verse globalement 5 600 livres d'impôt, selon le document que j'ai sous les yeux.

Les opérations ont été fixées au dimanche 2 septembre, à l'issue de la grand-messe ou des vêpres. Il n'y a que 24 votants, ce qui est peu. Désintérêt pour la chose publique ou faible niveau d'imposition des paroissiens ? Il faudrait consulter les archives fiscales pour répondre à cette question.

En attendant, je regarde la composition de l'assemblée et je m'aperçois que presque tous les noms me sont familiers, si j'excepte un certain Foulon, seigneur du lieu : Boussinot, Maitreau, Duchatellier (ici amputé de moitié, il y manque "Richard"), Grignon, Borit sont des patronymes qui figurent dans ma base de données. Deux d'entre eux sont mes ancêtres directs. Mais voyons cela plus en détail.

René François Julien Boussinot, tout d'abord : rien d'invraisemblable, le curé de Concourson a baptisé, marié ou enterré un certain nombre de mes ancêtres entre 1782 et 1791.

François Maitreau, "marchand", ensuite. L'un des fils du fameux Joseph Maitreau qui s'était marié trois fois et avait traversé tout le XVIIIe siècle, comme je l'évoquais dans un précédent billet(2). François a été porté sur les fonts baptismaux de l'église Saint-Hilaire, par un de ses oncles et par sa grand-mère maternelle, le 19 février 1746. Il s'est marié à l'âge de vingt et un ans, avec la toute jeune Marie Bernier, seize ans à peine, elle aussi originaire de Concourson.

En septembre 1787, vingt ans plus tard, lorsque François est élu à l'assemblée paroissiale à l'âge de quarante et un ans, le couple a déjà donné le jour à huit enfants. Cinq d'entre eux ont survécu aux dangers de la petite enfance : Anne (14 ans), Jeanne (13 ans), Louise (7 ans), François (4 ans) et André (2 ans). Jacquine et Joseph naîtront respectivement en avril 1788 et juin 1790.

Nous sommes à la veille de la Révolution. François aura une fin tragique : son corps sera retrouvé sur la route de Coron à Vezins le 10 janvier 1794 (pardon, le 21 nivôse an II), quelques jours avant le passage des colonnes infernales du général Turreau. D'après l'acte de décès, rédigé trois ans plus tard sur la foi de témoignages, il aurait reçu une balle en pleine tête des "insurgés de la Vendée". Il avait alors quarante-sept ans.

René Richard Duchatellier, "laboureur" âgé de trente-six ans, un autre de mes ancêtres, figure également sur la liste des élus à l'assemblée paroissiale de 1787. Né lui aussi à Concourson, il a épousé (quand et où ?) Rose Marie Thérèse Lefranc, originaire de Bournezeau, en Vendée. Leur premier fils naîtra quelques mois plus tard, en avril 1788. Le couple aura huit enfants et je suivrai, dans les actes de baptême ou de naissance, les variations patronymiques de cette famille au gré des changements de régime(3).

En juillet 1819, sous la Restauration, André Maitreau, fils de François, épousera Perrine Richard Duchatellier, fille de René. Leurs pères avaient donc siégé à la même assemblée paroissiale sous l'Ancien Régime.

Je relève encore sur la liste des élus Nicolas Grignon, "marchand" âgé de trente-trois ans. Il sera un temps agent municipal, puis maire de Concourson et, à ce titre, signera nombre d'actes concernant mes ancêtres. L'orthographe plus qu'approximative de ces documents mériterait à elle seule de faire un tour dans les registres d'état civil ! Enfin, Honoré Borit, le greffier non élu de l'assemblée, sera témoin lors du mariage de Jacquine Maitreau, la plus jeune fille de François, en 1813.

La recherche que j'avais lancée dans Gallica, sans trop y croire, a finalement été fructueuse et m'a permis de replacer un pan de l'histoire familiale dans le contexte historique de l'époque, ce qui lui donne un peu plus d'épaisseur.


(1) Formation des municipalités dans l'élection de Montreuil-Bellay en 1787, par MM. J. Gouyau et R. Moreau, instituteurs in Actes du quatre-vingt-septième congrès national des sociétés savantes, Poitiers 1962, Section d'histoire moderne et contemporaine, Paris, Imprimerie nationale, 1963

(2) Voir Du Puy-Notre-Dame à Concourson, en passant par les Verchers-sur-Layon

(3) Voir Les Tribulations de la famille Richard Duchatellier

lundi 5 août 2013

Concourson sous l'Ancien Régime


J'ai pris l'habitude de consulter régulièrement le Dictionnaire historique, géographique et biographique de Maine-et-Loire que Célestin Port, archiviste issu de l'École des Chartes, rédigea durant la seconde moitié du XIXe siècle. L'édition originale est parue de 1876 à 1878. L'œuvre fut ensuite actualisée par le Conseil général : c'est l'édition révisée, publiée de 1965 à 1996.

L'ouvrage, disponible en ligne sur le site des archives départementales, contient d'innombrables notices qui me permettent d'en savoir davantage sur les lieux où vécurent mes ancêtres angevins. La comparaison des deux éditions offre un aperçu de l'évolution des mentalités, qui ne manque parfois pas de sel. J'y reviendrai peut-être dans un autre billet, mais ce n'est pas le sujet du jour.

Jusqu'ici, je n'avais pas prêté attention à un paragraphe qui revient pourtant comme une litanie à propos de chaque paroisse. Pour Concourson, cela donne ceci : "Elle dépendait du Diocèse de Poitiers, de l'Archiprêtré de Thouars, de l'Élection de Montreuil-Bellay, du Grenier à sel de Saumur…"

Carte des gabelles, 1781
Source Wikipédia

J'ai donc tenté d'y voir plus clair dans les arcanes administratifs (je découvre au passage dans le Petit Larousse que ce mot est masculin) de l'Ancien Régime. Que ceux qui maîtrisent ce sujet me pardonnent, voici un rappel pour les autres.

Le diocèse est une circonscription religieuse : c'est le territoire sur lequel s'exercent le pouvoir et la mission de l'évêque. Les curés en charge des paroisses sont nommés par lui. Il réside dans la ville où a été bâtie la cathédrale, qui abrite le trône épiscopal (la cathèdre), symbole de sa juridiction. Concourson relève donc de l'évêché de Poitiers, situé à une centaine de nos modernes kilomètres, dans l'actuel département de la Vienne.

Le diocèse se subdivise en archiprêtrés, qui peuvent à leur tour se subdiviser en doyennés. Une organisation pyramidale, en quelque sorte, et une forme de délégation. Concourson relève de l'archiprêtré de Thouars, à une trentaine de kilomètres, dans le département des Deux-Sèvres, plus proche que le lointain siège du diocèse.

Les deux autres termes, "élection" et "grenier à sel", nous conduisent à nous interroger sur le système fiscal fort complexe (hum, pas de changement notable, finalement) de l'Ancien Régime.

Commençons par la taille. À l'origine impôt exceptionnel, la taille royale devint un impôt annuel dès la fin de la guerre de Cent Ans. L'État définit ses besoins et répartit le montant de l'impôt entre les Généralités qui composent le royaume, à charge pour elles de le collecter auprès des contribuables. Le clergé, la noblesse et les habitants de nombreuses villes en sont exemptés.

Les Généralités, instaurées sous François 1er, ont à leur tête un Trésorier général et un Bureau des finances, bientôt supplanté dans ses attributions par un Intendant des finances.

C'est ici qu'il faut introduire une distinction importante :

  • Dans les "pays d'élection", l'Intendant, représentant du pouvoir royal, répartit l'impôt avec l'aide des notables désignés (élus ?) par la communauté et l'impôt serait plutôt calculé sur le revenu, même si cette notion est ici quelque peu anachronique ;

  • Dans les "pays d'états", les États provinciaux (pour faire simple, le parlement régional) négocient le montant de l'impôt avec l'Intendant et votent sa répartition, sachant que l'impôt serait plutôt calculé sur les biens fonciers ;

  • Dans les "pays d'imposition", les plus récemment rattachés à la couronne, les contribuables subissent une imposition directe, sans intermédiaire à l'échelon local.

L'Anjou étant pays d'élection, Concourson relève donc de l'Élection de Montreuil-Bellay, subdivision de la Généralité de Tours. Montreuil-Bellay est à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Concourson.

Passons à la gabelle, la fameuse taxe sur le sel. D'abord provisoire sous saint Louis et Philippe le Bel, elle devint bientôt permanente (cela ne vous rappelle rien ?) à partir de Philippe VI de Valois. Il faut prendre conscience que le sel était primordial pour nos ancêtres, car c'était alors le seul moyen de conserver les aliments et donc de constituer des réserves de nourriture pour l'année. La gabelle est certainement une intéressante source de revenus pour le Trésor royal, mais son mode de collecte prend des formes extrêmement variées d'une région à l'autre. On distingue :

  • Les "pays de grande gabelle", où l'on est tenu d'acheter une quantité fixe de sel dans des entrepôts d'État, les Greniers à sel,

  • Les "pays de petite gabelle", où l'on achète dans ces mêmes entrepôts des quantités libres,

  • Les "pays de petites salines", producteurs de sel gemme, qui payent des redevances peu élevées,

  • Les "pays de quart-bouillon", producteurs de sel marin, qui versent le quart de leur récolte à l'État (et alimentent ainsi les Greniers à sel, j'imagine),

  • Les "pays rédimés", qui ont racheté les droits sur le sel en versant une somme forfaitaire au Trésor,

  • Les "pays francs", exempts de taxe.

Inutile de préciser que ces disparités de traitement d'une province à l'autre entraînent une contrebande effrénée, avec poursuites entre "gabelous" (les collecteurs de la taxe) et "faux-sauniers" (les contrebandiers).

Concourson, en pays de grande gabelle, est rattaché au Grenier à sel de Saumur, distant de vingt-cinq kilomètres.

Bon, c'est tout pour aujourd'hui. Je pourrais vous parler d'autres impôts, comme le vingtième (sorte de CSG avant la lettre, destinée à amortir les dettes du royaume) ou la dîme (destinée à financer l'institution religieuse), évoquer le découpage judiciaire, les bailliages et les sénéchaussées, mais  mes connaissances sont faibles dans ces domaines et puis j'aurais peur de vous lasser !


Sources

Encyclopaedia Universalis, articles sur les Généralités, les pays d'élection, les intendants, la taille

Wikipedia, articles sur les Généralités, les intendants, la taille royale, la gabelle du sel, etc.

La page du site de Pierre Collenot consacrée aux impôts en France sous l'Ancien Régime, à l'adresse suivante