lundi 25 février 2013

Sports d'hiver et papiers de famille


Cette semaine, je vous propose une escapade sportive dans les années trente. Quel lien avec la généalogie, me direz-vous ? Eh bien, c'est l'époque où mon père, qui était parisien, découvrit les sports d'hiver. Il en subsiste quelques traces dans les photos et les papiers de famille.

Durant la décennie 1930, le ski n'était pas encore une pratique courante. Si vous en doutez, regardez bien cette carte postale : il s'agit du lac de Tignes. Le vrai, pas celui qui a englouti l'ancien village après la construction du barrage du Chevril. À cet endroit, s'élève aujourd'hui l'une des stations les plus célèbres du monde, avec une capacité de l'ordre de 30 000 lits !

Carte postale du lac de Tignes, Archives personnelles
La carte postale fut rédigée durant l'hiver 1937. J'y relève ces quelques mots : "… neige ininterrompue. Et depuis nous avons été complètement bloqués pendant 4 jours par la tempête de neige ; toutes communications coupées. En fait de ski, nous faisons surtout des bridges…"

J'ignore où mon père apprit à skier, peut-être à Megève, mais je sais qu'il fréquentait assidûment le massif alpin, en France, en Suisse et en Italie. Mon enfance et mon adolescence ont été nourries du récit de diverses anecdotes, dont certaines eurent pour théâtre le chalet du lac de Tignes. Maurice Baquet(1) y aurait testé sa fameuse descente d'escalier à ski, qui inspira le photographe Robert Doisneau.

Mais ce qui me laisse rêveuse, c'est la tenue des skieurs de l'époque. Jugez plutôt.

Groupe de skieurs dans les années 1930, Archives personnelles
Tous les skieurs et skieuses sans exception portent le "pantalon norvégien"(2), bien bouffant au-dessus de chaussures en cuir qui couvrent à peine la cheville. Sous le blouson de toile ou la veste de laine d'une coupe vaguement militaire, certains ont conservé la chemise et la cravate. Je remarque également des guêtres, sans doute pour se protéger de l'humidité, et de grosses moufles, peut-être en peau de mouton.

Seul mon père arbore ses skis. Je sais qu'il économisa pendant plusieurs semaines sur le prix de ses repas pour s'en offrir une paire en hickory, un bois à la fois léger et résistant, qui était considéré comme le "must" de l'époque.

Ces skis sont étonnamment longs, de l'ordre de 2,05m ou 2,10m pour une personne de taille moyenne. Pour trouver la bonne dimension, il suffisait, paraît-il, de tendre le bras verticalement : la pointe de la spatule devait venir chatouiller la paume de la main ! Les fixations laissaient le talon plus ou moins libre, car les remontées mécaniques étaient quasiment inexistantes et toute descente était généralement précédée d'une longue montée à peau de phoque. La dimension des bâtons est tout aussi impressionnante, avec de larges rondelles adaptées à la randonnée en neige profonde. Les dameuses ne seraient inventées qu'une trentaine d'années plus tard. Skier hors piste ou non ? la question ne se posait pas en ces termes, alors.

Je remercie le photographe anonyme qui a pris cette photo. Elle nous restitue une époque qui tranche singulièrement avec la pratique d'aujourd'hui.


(1) Violoncelliste, alpiniste et acteur français de théâtre et de cinéma, né en 1911 et décédé en 2005.

(2) Le premier fuseau fut créé en 1930 par Armand Allard, tailleur à Megève, et fut popularisé par Émile Allais, triple médaille d'or aux championnats du monde de ski alpin en 1937.

lundi 18 février 2013

Le trousseau de la mariée


J'ai retrouvé parmi les papiers de famille le livre de raison de mon arrière-grand-père Achille Maitreau. Celui-ci était né à Concourson, dans le Maine-et-Loire, en 1821, mais les hasards de la carrière militaire le conduisirent à Pau, dans ce département que l'on appelait alors les Basses-Pyrénées. Il y resta jusqu'à la fin de sa vie.

Le 9 juin 1868, le capitaine au 58e régiment d'infanterie de ligne, chevalier de la Légion d'honneur, en garnison à Pau, épousa la fille unique d'un médecin-major en retraite, Eugénie Morel. Il avait quarante-sept ans et son épouse déjà trente-sept ans. Elle lui donna néanmoins deux enfants dans les années qui suivirent : Maurice, mon grand-père maternel, né en 1869, et Marie, née en 1871.

Le document qui nous intéresse est un cahier d'une trentaine de feuillets, doté d'une couverture cartonnée, intitulé "Carnet de la famille Maitreau-Morel destiné à notre fille Marie".

Source : Archives personnelles
Les premières pages me furent fort utiles pour débuter mes recherches généalogiques. Elles mentionnent en effet le mariage d'Achille et d'Eugénie, en indiquant la date de naissance, le lieu de naissance et la filiation des deux époux. Elles mentionnent ensuite les deux enfants nés de ce mariage et le mariage de chacun d'eux.

Les pages suivantes sont relatives au patrimoine du couple : avoir du mari (valeurs mobilières et héritage d'une tante), avoir de l'épouse au jour du mariage (son trousseau), acquêts en communauté (un terrain), plus tard dot de la fille et dot du fils… Les dernières pages sont de la main de Maurice. Elles récapitulent les titres que possédait son père au 1er août 1914. Achille Maitreau, veuf depuis quelques années, avait alors quatre-vingt-treize ans et rendrait son dernier souffle quelques mois plus tard.

Le carnet, étant destiné à Marie, la sœur de Maurice, comprend également quelques annotations de la main de cette dernière.

Les pages 16 et 17 sont les plus émouvantes. Elles décrivent le trousseau de la mariée, estimé à deux mille francs : du linge de maison, un peu de vaisselle et quelques couverts, des vêtements, quelques bijoux. Qui en a fait la liste ? Il est possible qu'Achille Maitreau n'ait fait que recopier un inventaire figurant dans le contrat de mariage, signé devant notaire le 30 mai 1868, je n'ai pas encore eu l'opportunité de le vérifier.

Source : Archives personnelles
Chaque ligne ou presque mériterait des commentaires. Je passe sur les quatre paires de draps, les six taies d'oreiller, les six serviettes de toilette (à ne pas confondre avec les douze essuie-mains et les douze torchons). Le linge est-il brodé ou chiffré ? Cela n'est pas précisé.

La liste des vêtements est sans doute représentative de la mode du Second Empire. Elle évoque pour moi l'exposition qui vient de s'achever au Musée d'Orsay(1). On y parle de camisoles, de casaques et de crinolines, de jupons, d'un corset et de robes en jaconas(2).

Je note au passage ce petit coup de patte : "2 robes de soie (vieilles)".

Je rêve un instant sur les trente chemises de toile, les dix-huit paires de bas et sur le manchon avec sa palatine, cette écharpe de fourrure gracieusement enroulée autour du cou pour se protéger des frimas. Elle appellerait le pinceau du peintre. Une aumônière en cuir ensuite, mais pas de gants ni d'ombrelle ni de chapeau (à part un "chapeau blanc de mariée") ? Il y aurait de quoi froncer les sourcils !

Deux châles, deux manteaux en drap et un autre en laine grise indiquent que le climat palois n'est pas toujours aussi doux que le prétendait ma grand-mère Julia.

Les bijoux me paraissent modestes : une montre en or avec clef (du genre de celles que l'on portait en sautoir sans doute), deux camées, un bracelet en corail et un autre en argent doré, deux bagues, une paire de boucles d'oreille… À côté du carnet de cartes de visite et du livre de messe, Marie a ajouté des années plus tard d'une écriture tremblée la mention "en écaille".

Si la cafetière en argent à manche d'ivoire a pu susciter des convoitises, il n'y a que quatre couverts en argent, quatre cuillers à café, quatre couteaux à dessert en argent, accompagnés de quatre couteaux à manche d'ivoire et de quatre couteaux "ordinaires" ! L'unique cuiller à potage en Ruolz(3) doit en réalité être une louche, je suppose.

Cette énumération et ce qu'elle révèle de l'intimité d'une bisaïeule me donnent envie de rechercher les contrats de mariage et les inventaires après décès de mes ancêtres. Et vous, avez-vous fait des découvertes comme celle-ci ?



(1) L'Impressionnisme et la Mode, du 25 septembre 2012 au 20 janvier 2013.
(2) Fine étoffe de coton, entre la mousseline et la percale.
(3) Procédé d'argenture ou de dorure galvanoplastique breveté en 1841 par le baron du même nom.

lundi 11 février 2013

Le plus lointain ancêtre


"Tu es remontée jusqu'où ?" C'est la question que j'entends le plus souvent, lorsque j'évoque mes recherches généalogiques. J'éprouve toujours un certain embarras : comment formuler une réponse qui ne soit pas trompeuse ?

Il n'y a pas si longtemps, je donnais une date : 1596. Et puis j'ajoutais un repère, Henri IV ; j'ai toute une partie de ma famille qui a gardé de solides attaches avec le Béarn, c'est une référence qui leur parle.

Je n'imaginais pas remonter aussi facilement jusqu'au XVIe siècle, mais il faut quand même relativiser. Cette Françoise Le Bourdais, qui serait née vers 1596 si l'on se fie à l'âge qui lui est donné lors de sa sépulture, appartient à la douzième génération de mes ancêtres. C'est une petite pièce d'un puzzle qui en comprend un peu plus de quatre mille si je m'arrête là, mais plus de huit mille si j'ambitionne de remonter à la génération précédente, et ainsi de suite à chaque nouvel échelon.

Nul besoin d'être mathématicien pour comprendre qu'il faut multiplier par deux le nombre des ancêtres à chaque génération ! Or, à ce jour, j'ai identifié avec plus ou moins de certitude… 571 ancêtres. Sur quatorze générations, c'est très peu (3,5 % pour les amateurs de pourcentages, moins d'une personne sur vingt-huit pour les autres).

Car j'ai progressé ces dernières semaines et Françoise Le Bourdais s'est fait ravir le titre par Perrine Ermouin, qui appartient à la quatorzième génération de mes ancêtres, porte le numéro Sosa 11935 et serait née vers 1568. Sous le règne de Charles IX ou celui de son successeur Henri III, donc.

Gené, sur la carte de Cassini, d'après la France à la Loupe

D'après le registre paroissial de Gené, dans l'actuel département du Maine-et-Loire, Perrine Ermouin est décédée dans la nuit du 9 mai 1646, "aagée de soixante et dix huict ans deux mois". De telles précisions sont plutôt rares pour l'époque. Elle était veuve d'un certain René de la Noë, qui l'avait précédée dans la tombe en décembre 1637.

À ce jour, j'ai identifié un seul enfant du couple : Renée de la Noë ou Delanoë, baptisée le 5 octobre 1594 et fiancée à Nicolas Guesné le 12 novembre 1612, à l'âge de dix-huit ans. Le mariage fut célébré le 3 décembre de la même année et le couple donna le jour à douze enfants au moins entre novembre 1613 et août 1637. Notons au passage qu'il y eut des jumeaux en avril 1628, mais que ceux-ci ne vécurent que quelques jours à peine.

Le dernier accouchement fut fatal à la mère, puisqu'elle décéda le 17 août 1637, "en travail d'enfans" nous dit l'acte de sépulture. Elle avait quarante-deux ans.

La paroisse de Gené est plutôt modeste. Située au centre d'un triangle délimité par Segré, le Lion-d'Angers et Vern-d'Anjou, elle comptait moins de cinq cents habitants lors du dénombrement de la population effectué en 1726. Mais elle présente une particularité qui intéresse au plus haut point les généalogistes : au XVIIIe siècle, le curé François Gaultier entreprit de dresser un répertoire des baptêmes pratiqués dans son église.

Le répertoire commence en novembre 1539 ! Difficile de faire mieux, si l'on se rappelle que la tenue des registres de baptêmes ainsi que leur rédaction en français et non en latin furent rendues obligatoires par l'ordonnance de Villers-Cotterêts d'août de la même année.

J'y ai recherché le baptême de Perrine Ermouin, ma plus lointaine ancêtre identifiée, avec une certaine fébrilité. Eh bien, j'ai trouvé une mention qui pourrait lui correspondre, à la date du 10 février 1567. Elle aurait donc vécu soixante-dix neuf ans et trois mois, au lieu des soixante-dix huit ans et deux mois indiqués dans son acte de sépulture. Le rapprochement est tentant.

Malheureusement, le registre proprement dit des baptêmes ne commence qu'en 1574 (et je ne vous dis rien sur l'écriture de l'officiant de l'époque). Le registre des mariages est plus lisible, mais il ne commence qu'en 1607, trop tardivement donc pour comporter l'acte de mariage du couple René de la Noë et Perrine Ermouin. Peu importe ! Désormais, lorsque je serai interrogée, je répondrai fièrement : 1567 ou 1568, du temps où les Valois régnaient sur la France !

lundi 4 février 2013

Énigme photographique (suite)


L'un de mes cousins issus de germains, qui est aussi un blogueur invétéré et relaie mon billet du lundi sur son site, a peut-être trouvé la clef qui me manquait. Ayant trouvé une ressemblance avec son père et son grand-père, il me suggère que l'inconnue de la photo pourrait être notre arrière-grand-mère commune, Eugénie Caperet.

Il se trouve que j'ai la chance d'avoir un autre portrait d'Eugénie, une photo plus tardive qui présente effectivement des similitudes avec la première : les yeux clairs, le front et l'arc des sourcils, le dessin de la bouche et jusqu'à la coiffure qui est presque la même. Autre élément : les perles aux oreilles sont identiques.

Eugénie Caperet, Archives personnelles
De son côté, Sophie Boudarel estime que la photo sortie du studio Disdéri pourrait être datée des années 1870, compte tenu de ses caractéristiques techniques. Elle suggère aussi que la robe sombre pourrait être la marque d'un deuil : le cadre posé devant la jeune femme pourrait contenir le portrait d'un défunt. J'ai essayé d'agrandir le scan au maximum et, en dépit d'une forte pixellisation, je dirais qu'il pourrait s'agir d'un portrait d'enfant, sans en être tout à fait sûre.

Voyons si tous ces éléments cadrent avec ce que je sais de mon arrière-grand-mère du côté maternel.

Eugénie Caperet est née à Pau, dans les Pyrénées-Atlantiques, le 16 mars 1856. C'est la dernière d'une fratrie de sept enfants dont trois au moins sont morts en bas âge. La famille demeurait rue Henri IV, en plein centre ville.

Eugénie perd ses parents alors qu'elle est encore très jeune. Elle n'a que quinze ans quand son père, Jean Caperet, huissier de justice, décède en août 1871, à soixante-cinq ans. Elle a vingt-et-un ans, lorsque sa mère part à son tour, en juillet 1877, à soixante-et-un ans.

Elle épouse Théodore Fourcade un an et demi plus tard, le 22 janvier 1879. Le couple aura sept enfants. Les deux premiers, Jeanne et Paul, voient le jour rue de la Préfecture : Jeanne, née en décembre 1879, meurt à l'âge de cinq ans ; Paul, né en avril 1881, n'atteint pas sa onzième année. C'est sans doute pour cette raison que ma grand-mère Julia, née en 1882 elle aussi rue de la Préfecture, fit toute sa vie l'objet de soins attentifs (considérée comme étant de santé fragile, elle n'en donnerait pas moins le jour à cinq enfants).

Viendront ensuite quatre garçons, Joseph en 1884, Jean en 1889, Théodore en 1894 et enfin Henri en 1899. Les trois premiers viennent au monde dans l'appartement de la rue des Arts, au-dessus de la chemiserie qui fit la fierté de la famille, le dernier garçon naquit dans la maison Planté, chemin Méon, non loin de la propriété de Bagatelle qui fait également partie de la saga familiale.

Pour en revenir au sujet qui nous intéresse aujourd'hui, si le portrait Disdéri fut pris à la fin des années 1870 ou au tout début des années 1880, il pourrait bien s'agir d'Eugénie Caperet : une jeune femme d'une vingtaine d'années, mariée en 1879, qui avait perdu ses parents. Mais il faut attendre 1885 pour qu'elle porte le deuil de la petite Jeanne et 1892 celui de Paul.

Il me reste donc à dater plus précisément la photo. Pour cela, il me faut effectuer des recherches plus approfondies sur le photographe : un certain H. Disdéri, 6 boulevard des Italiens à Paris, aurait-il succédé au célèbre André Adolphe Eugène Disdéri, installé au n°8 du même boulevard ? Et si oui, à quelle date ?